Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

variable de l’air, une infinité de nuances qui échappent à celui qui ne vit pas au sein même de la nature. Le paysan n’a pas besoin de girouettes pour savoir d’où vient le vent, d’anémomètres pour en mesurer la force ; le balancement des arbres, le mouvement léger des graminées qui se penchent, la direction des nuées, lui en apprennent assez : il sait d’où vient la pluie, comment se forment les orages, comment s’annonce une belle journée ; son langage est semé d’expressions riches et originales qui peignent toutes les variations, tous les pronostics du temps. Il ne faut pas dédaigner cette science pratique, fruit d’une expérience séculaire, ni ces dictons où elle s’exprime sous forme naïve ; si les explications qu’elle propose sont souvent erronées, les faits qu’elle prend pour base sont toujours certains. La lune rousse, par exemple, ne mérite assurément pas toutes les invectives dont elle est l’objet ; mais il est incontestable que la période de l’année qu’on désigne ainsi est très dangereuse pour les jeunes pousses, souvent gelées et roussies par le refroidissement nocturne, parce qu’elles s’abaissent alors à une température inférieure à celle de l’air. Les paysans attribuent cet effet à la lune, parce que le rayonnement agit avec d’autant plus d’énergie que le ciel est plus serein, et que la lune par conséquent brille avec plus d’éclat. C’est dans les pays de montagnes, où le temps est si incertain et change avec tant de rapidité, qu’on a souvent occasion d’apprécier cette connaissance locale des climats, qui ne fait défaut aux habitans d’aucun pays. Dans les Alpes, on peut toujours se fier presque aveuglément, sous ce rapport, à ces excellens guides dont la prudence et la perspicacité sont vraiment admirables. Qu’un orage, que la pluie vous surprenne et vous emprisonne dans quelque chalet écarté, ne cherchez point à faire prévaloir votre avis contre celui de votre guide ; de temps en temps il ira humer l’air à la porte, regardera les divers coins de l’horizon, et quand il vous donnera le signal du départ, vous pourrez le suivre sans crainte. La façon dont les vapeurs rampent le long des montagnes, la hauteur qu’elles atteignent, le point où elles s’accumulent, tout lui fournit des indications précieuses, rarement mises en défaut.

Les matelots ont une science toute semblable. L’habitude des longs voyages, des climats différens, les familiarise avec une foule de phénomènes météorologiques qu’ils interprètent avec une grande sûreté de jugement. Ils connaissent les caractères d’un temps sûr et d’un vent favorable, savent discerner les pronostics de ces tempêtes redoutables qui, surtout dans certaines mers, font subir aux navires les plus terribles dangers. Les expressions ne manquent pas dans la langue technique des hommes de mer pour peindre tout cet ensemble de signes menaçans qui précèdent une grande convulsion naturelle,