Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/595

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

administration, et, quand il s’agit de beaucoup de logemens, une administration assez compliquée. Les grands propriétaires ont assez souvent recours à un gérant, c’est le système qui prévaut à Saint-Quentin, ou à un principal locataire ; ce qui se pratique assez communément à Reims. Il y a de pauvres femmes qui ont eu la malheureuse idée de prendre à bail une cour entière, et qui, en faisant toute l’année l’ingrat et dur métier de collecteur d’impôt, arrivent péniblement à payer leur propre redevance. Quelques propriétaires se chargent eux-mêmes de leurs recouvremens, et n’exercent pas d’autre profession. À peine une tournée est-elle finie, qu’il faut en commencer une nouvelle, car on comprend bien que tous les loyers ne sont pas payés à première réquisition, et qu’il faut revenir quelquefois le lundi, le mardi et même le mercredi. Un propriétaire qui veut à toute force être payé ne souffre pas d’arréragé ; on peut à la rigueur trouver 1 fr. ou 1 fr. 50 cent., mais 5, 6 ou 7 francs à la fois, cela deviendrait impossible. La mère de famille qui le lundi ne peut pas donner un à-compte est obligée de vider les lieux avec ses enfans et d’aller frapper à une autre porte. Quand il n’y a nulle part de logement vacant, les locataires expulsés refusent de déguerpir, et il est assez difficile de les y contraindre. Le moyen de rigueur consiste à enlever la porte, ou le châssis de la fenêtre. On citait à Lille, il y a quelques années, un propriétaire qui partait le matin de chez lui en traînant une petite charrette à bras. Quand un locataire ne le payait pas, il prenait lui-même sa porte ou sa fenêtre et la mettait sur la charrette. Ce galant homme voiturait parfois une très lourde charge à la fin de sa journée, et pourtant il n’est pas mort millionnaire.

Pour se faire une idée de ces intérieurs, il faut les voir sous leur double aspect, c’est-à-dire avant et après la fermeture de l’atelier. Pendant le jour, : il n’y a pas d’hommes dans les maisons d’ouvriers, on n’y rencontre que des femmes et des enfans, quelquefois un vieillard ou un malade, plus rarement un ouvrier chargé d’un travail de nuit et obligé de dormir tout le jour, Dans quelques villes, les femmes, qui ont été pour ainsi dire élevées dans la fabrique, ne connaissent pas d’autre situation : elles se marient, elles ont des enfans ; mais ni les soins du ménage, ni les soucis de la maternité ne les détournent de la carrière qu’elles ont embrassée. Elles quittent donc leur domicile, et sont étrangères à leurs enfans pendant toute la journée, quelquefois pendant une partie de la nuit. En 1836, la journée de travail était de quinze heures à Mulhouse, à Dornach, à Lille, de seize heures à Bischwiller ; un rapport fait en 1837 à la société industrielle de Mulhouse constate que la journée de travail allait jusqu’à dix-sept heures dans plusieurs manufactures françaises.