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L’observation des grands phénomènes physiques de la nature n’a pas seulement de très nombreuses et très utiles applications, elle est encore une source féconde de plaisirs ; elle met celui qui vit toujours dans les mêmes lieux en harmonie avec tout ce qui l’entoure, elle exalte ce sentiment si doux qui fait qu’on reste attaché au pays où l’on a reçu les impressions durables de l’enfance, et qu’on aime toujours, si tristes et si désolés qu’ils soient, les endroits où l’on a longtemps vécu. Le voyageur trouve dans la nature extérieure un sujet perpétuel d’intérêt ; il compare, il étudie les rapports du monde physique avec les caractères des nations, les mœurs et l’histoire. Je ne me dissimule pas qu’en invitant tout le monde à étudier les sciences, on rencontre la double opposition des savans, qui ont pour tout ce qui n’est pas spécialité scientifique une horreur et un mépris sincères, des esprits délicats et amis des lettres, qui paraissent craindre de voir le sentiment de la conscience et de la personnalité humaine s’amortir chez ceux qui s’occuperaient trop d’un monde inanimé réglé par des lois inflexibles et fatales. Il est bien vrai que les âmes blessées par le spectacle des choses humaines pourraient trouver des consolations dans la contemplation d’un monde infini : qui pourra jamais empêcher que la sérénité, l’immutabilité de la nature ne contrastent avec nos agitations et nos incertitudes ? Ce que je ne consentirai jamais à croire, c’est que la connaissance des grandes lois qui président à l’accomplissement des phénomènes célestes ou terrestres puisse abaisser les âmes ou amollir les caractères ; il semble au contraire qu’en ne franchissant jamais les bornes de ce cercle étroit où nos intérêts, nos passions, nous mettent en lutte, l’esprit risque de se flétrir comme une fleur qui manque du grand air, et que, n’apercevant rien de stable dans le courant troublé des événemens humains, il perde peu à peu cette confiance virile qui est le secret du courage. L’homme a parfois besoin de reprendre des forces en touchant la terre, comme Antée. Les longs murmures des forêts, accens confus d’une langue surhumaine, les plages où l’on voit éternellement mourir et renaître les flots, la nuit avec ses mondes sans nombre qui nous sourient de loin, toutes ces sensations, tous ces spectacles nous sont bons. Ils agissent sur un sens intime perdu dans les profondeurs mêmes de l’être, sur une poésie native qui sommeille dans tout ce qui est animé. L’étude du monde nous console et nous fortifie, pourvu que nous y cherchions le divin. Les orages du ciel sont moins dangereux que ceux de notre âme, et mieux vaut quelquefois contempler les capricieuses déformations des nuées que les variations des hommes.


AUGUSTE LAUGEL.