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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 juillet 1860.

Il est dans l’histoire des époques où il semble que le libre arbitre humain ait la principale influence dans les affaires de ce monde ; il en est d’autres où au contraire une nécessité invincible courbe toutes les intelligences et toutes les volontés. Dans celles-ci, les faits donnent à chaque instant des démentis aux vœux et aux conclusions de la raison. La raison, qui ne perd jamais ses droits, voit bien ce qui est juste, ce qui est logique, ce qui est conforme aux intérêts de l’humanité ; mais les événemens, comme doués de ces aveugles forces qui régissent la matière, se précipitent suivant des lois nécessaires, et la force libre de l’homme est impuissante contre la terrible action qui en conduit l’enchaînement. Ce sont de dures épreuves pour l’esprit humain que ces momens où le juste et le sage sont d’un côté, l’inévitable et le nécessaire de l’autre. La frivolité et la bassesse recrutent alors au fatalisme politique d’innombrables adhérens. Pour les uns tout l’art, pour les autres toute la prudence est de deviner ce qui arrivera inévitablement et de servir ce qui triomphera nécessairement. Aux yeux des foules, qui, comme la physiologie du suffrage universel nous l’a fait voir en ces derniers temps, mettent leur orgueil à être moutonnières, c’est être un sot que de ne pas se ranger non-seulement du côté du fait accompli, mais encore du côté du fait qui va s’accomplir. Il ne manque pas de beaux esprits qui cèdent au même fatalisme, dans la crainte enfantine d’être ainsi stultiftés par les événemens vainqueurs. Pour ceux qui ne prennent pas leur parti de s’abandonner les yeux fermés au courant, pour ceux qui veulent continuer à voir et à comprendre le terrible contraste qui s’établit entre ce que la raison et la liberté humaine conseillent et ce que l’entraînante brutalité des faits exige, ce sont en vérité, nous voudrions le dire en évitant toute emphase, de petits Prométhées condamnés à de douloureuses perplexités et à des déchiremens