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de concours, par des paroles souvent émues, aux manifestations chaleureuses des Costa-Ricains. Qui pouvait m’en faire un crime ? A qui devais-je compte de mon attitude et de mes entraînemens ? Lié par des instructions officielles, je serais resté en deçà même de la limite de réserve qu’on m’aurait assignée ; mais affranchi de cette réserve par mon indépendance, j’allais où m’appelait ma conscience privée, sans craindre qu’elle me désavouât le lendemain.

Pour comprendre de telles dispositions, il faut se rappeler quelle était alors la situation du pays. La capitulation de Rivas datait à peine de onze mois (1er mai 1857), et malgré l’engagement écrit pris par Walker de renoncer à ses prétentions sur l’Amérique centrale, engagement confirmé par le capitaine Davis au nom du gouvernement des États-Unis[1], deux nouvelles tentatives d’invasion venaient d’avoir lieu coup sur coup ; le commodore Paulding avait été disgracié pour s’être conduit en honnête homme, et les journaux américains ne parlaient que des préparatifs de Mobile et de la Nouvelle-Orléans en vue d’expéditions prochaines plus formidables que les premières. Ainsi, au lendemain d’une guerre affreuse, compliquée de choléra, qui avait décimé la république, quand toutes les blessures saignaient encore, quand le trésor épuisé ne pouvait satisfaire aux plus impérieuses créances, quand on était obligé de recourir à l’assistance du Pérou pour un secours, dévoré d’avance, de 500,000 francs, quand chaque famille pleurait une victime tombée sous les balles des riflemen ou emportée par le terrible fléau[2], on ne voyait devant soi que la perspective de nouveaux désastres, qui semblaient devoir être cette fois irréparables. Les classes supérieures étaient menacées dans leur existence et dans leurs biens ; la population indigène tremblait pour sa liberté. L’exemple du Nicaragua ne permettait pas le moindre doute sur la manière dont Walker comprenait la conquête. Ces prévisions, il est vrai, ne devaient pas se

  1. La convention passée avec le commandant Davis portait même cette mention singulière, que la place de Rivas et le matériel de guerre de Walker étaient remis au général Mora au nom des États-Unis.
  2. Un Français, M. Adolphe Marie, dont la famille habite Chartres, a été l’une des plus regrettables victimes de ce fléau, engendré par les émanations cadavériques au milieu des grandes chaleurs. M. Mario s’était fixé à Costa-Rica depuis longues années, et tour à tour on l’y avait vu rédacteur de l’Irasù, directeur du journal officiel et sous-secrétaire d’état. Ce dernier titre déguisait sa position réelle de ministre influent, que la constitution ne permet pas de reconnaître à un étranger. Il avait acquis un talent d’écrivain et de polémiste en langue espagnole tellement incontestable, que les publicistes nationaux le reconnaissaient pour leur maître Venu à Paris en 1855 avec une mission de son gouvernement, M. Marie en était reparti à la première nouvelle de l’invasion yankee. Il assista aux combats de Rivas, resta le dernier a l’arrière-garde pour organiser la retraite, se montra héroïque jusqu’au bout, et tomba à Libéria, payant de sa vie son dévouement.