Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/872

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette fausse position : la distance qui sépare les unes des autres les cinq petites républiques et le rôle particulier de la ville de Guatemala. Cette ville a gardé de son ancienne suprématie des traditions d’études, de science, d’activité littéraire et des restes d’institutions qui en font le centre le plus agréable à habiter de Mexico à Lima. Comme on la croit d’ailleurs à l’abri des révolutions intérieures depuis l’ascendant conquis par le général Carrera, elle est devenue le refuge temporaire de tous les mécontens compromis et de tous les exilés des autres états. Cette ville est un peu dans l’Amérique centrale ce qu’est Bruxelles en Europe, avec cette différence qu’à Bruxelles l’élément étranger se perd dans la masse d’une population compacte animée de sa vie propre, tandis qu’à Guatemala, où le théâtre est restreint, les réfugiés font partie de la société dominante et lui inoculent leurs passions sans craindre de contradicteurs. On peut avoir maintenant une idée de la manière étrange dont la légation de Guatemala doit apprécier ce qui se passe dans les états voisins, surtout si l’on considère qu’à Guatemala la distance et le défaut de communications déterminent un isolement presque absolu. Il existe, il est vrai, un service mensuel de bateaux à vapeur américains organisé depuis trois ou quatre années entre les divers points de la côte du Pacifique ; mais ce service, précieux pour les passagers, n’a créé aucune relation régulière, et il est toujours plus facile et plus sûr pour les quatre républiques qui ne possèdent pas de consuls français de correspondre avec Paris, à travers l’Atlantique, qu’avec Guatemala, leur voisine et leur suzeraine diplomatique. Malheureusement personne ne correspond avec Paris pour détruire les fâcheuses impressions des dépêches officielles, et alors voici ce qui se passe, ce qui s’est passé plusieurs fois. Un Français se prétend lésé par un des gouvernemens centro-américains ; il porte sa réclamation à Guatemala, où il tombe dans un milieu tout disposé à le croire sur parole et à prendre parti en sa faveur. Il se peut que la réclamation soit exagérée, il se peut qu’elle ait été justement repoussée par les tribunaux du pays, il se peut même qu’elle repose sur un faux matériel, et que le réclamant soit un aventurier de la pire espèce. N’importe : la légation se voit conduite à prendre fait et cause pour la victime présumée contre le gouvernement sans foi ni loi dont elle entend dire tous les jours le plus grand mal, et elle ouvre avec ce dernier un échange de dépêches sans issue, dont la conclusion est parfois un ordre "donné à un bâtiment de guerre d’aller terminer le débat sur les lieux. Je n’invente rien, je raconte. Voilà comment on procède à l’égard de gouvernemens faibles, mais réguliers, issus du suffrage universel, souvent très honorables, toujours très bien disposés pour la France et pour les Français.

Évidemment une telle situation ne se prolongerait pas s’il y avait