Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour quiconque est injustement détenu doit devenir un article de loi qui puisse être mis en pratique, s’il y a lieu. Le code de procédure civile l’a soigneusement reconnu en cas d’incarcération d’un débiteur insolvable. Tout débiteur qui se plaint d’être illégalement arrêté a le droit de requérir qu’il en soit référé sur-le-champ au président du tribunal devant lequel il peut se faire conduire : tout huissier ou exécuteur des mandats de justice qui refuserait d’obtempérer à sa requête serait passible de 1,000 francs d’amende, sans préjudice des dommages-intérêts. La demande en référé est jugée sans aucun délai, et dans le cas d’absolue nécessité le président peut, nonobstant tout appel, prescrire l’exécution immédiate de son ordonnance. Il suffit de rendre ces dispositions applicables toutes les fois qu’il y a plainte de détention arbitraire, et chaque président de tribunal, mis par sa haute position au-dessus de tout soupçon de faiblesse ou de dépendance, sera ainsi constitué le gardien de la liberté individuelle. Le bienfait de la loi de l'habeas corpus ne sera plus dès lors le privilège d’une autre nation.

Pour compléter ce système de défense, destiné à donner aux citoyens pleine sécurité, ne devrait-on pas ménager un plus large et un plus facile accès soit à la poursuite, soit à la plainte contre les magistrats et contre les fonctionnaires qui auraient, en abusant de leur pouvoir, porté une injuste atteinte à la liberté individuelle ? Ne faudrait-il point par exemple étendre les cas de prise à partie de telle sorte que les juges fussent responsables de toute infraction à la loi, lorsque la liberté d’un citoyen en aurait souffert quelque dommage ? Le code civil admet cette responsabilité sans aucune réserve, s’il s’agit de la plus légère erreur sur l’application de la contrainte par corps. Le code d’instruction criminelle n’amoindrirait pas la dignité de la magistrature en reproduisant la même disposition, quand la liberté du citoyen est également en jeu. La dignité de la magistrature est plus compromise lorsque la faute d’un juge, si préjudiciable qu’elle soit, ne peut être réparée, même par des dommages-intérêts, et lorsqu’une cour saisie d’une demande de prise à partie, hors des cas de dol ou de fraude, est obligée de regretter, ainsi que le témoigne plus d’un arrêt[1], que le silence de la loi ne lui permette pas de donner à la partie plaignante une juste satisfaction. — D’autre part, faudrait-il continuer à exiger l’autorisation du conseil d’état pour mettre en cause des fonctionnaires,

  1. Voir notamment l’arrêt de la cour de cassation du 6 juillet 1858 : il s’agissait d’un commissaire de police injurié et pour ainsi dire flétri dans les motifs d’un jugement, sans avoir été partie dans la cause. Il demandait la prise à partie, qui n’a pu lui être accordée, quoique le tribunal eût notoirement excédé ses droits, cet excès de pouvoir n’étant pas entaché de dol ni de fraude.