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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/291

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shell, perfectionnée par le colonel Boxer[1]. Sur un champ de bataille, elle éclate au moment voulu, jetant autour d’elle une pluie de balles, et produit dans l’armée ennemie, me disait un vieux soldat anglais, l’effet d’une charge de petit plomb dans une volée d’oiseaux. Quelques-unes des préparations relatives aux bombes sont environnées de mystère. Avec les lumières et les moyens d’analyse dont dispose aujourd’hui la science, je ne crois pas beaucoup à la durée des arcanes de guerre ; mais je serais plutôt porté à croire que le secret, si secret il y a, consiste surtout dans l’habileté des ouvriers, qui défie la concurrence des mains étrangères. Une fois sortis des ateliers, les messagers de mort, bombes, fusées et autres projectiles inflammables, sont chargés sur des bateaux recouverts et construits en forme de gondole, qui les transportent dans les magasins. La vue de ces convois sur l’eau sombre et dormante du canal a quelque chose de lugubre.

Tel est l’aspect général de l’arsenal de Woolwich. Je passe sous silence bien d’autres branches de travaux qui occupent néanmoins une place considérable. Ce qui frappe surtout le visiteur, c’est la vie, le mouvement qui bourdonnent dans cette grande ruche où se distillent le fer, l’airain et les compositions chimiques dont s’est emparé l’art de la guerre. Les transports se font soit sur des routes pavées, soit sur des rubans de fer, au moyen de chevaux et de grandes mules qui ont été ramenées de Crimée. Rien n’égale l’entêtement de ces derniers animaux, si ce n’est leur force et leur ardeur à l’ouvrage. Ils sont conduits par des soldats de l’artillerie, qui prétendent que les mules ordinaires sont auprès de celles-ci des bêtes dociles et traitables. Il est curieux de voir les travailleurs de l’arsenal manier et charger les boulets, ces pommes tombées de l’arbre de la science du bien et du mal, selon l’expression d’un ouvrier. On dirait, tant ils sont entassés, empilés les uns.sur les autres par milliers, que la Grande-Bretagne soutient un siège contre l’Europe entière. Dans la dernière guerre, 10,500 bombes sont sorties en vingt-quatre heures de la main des machines.

L’arsenal de Woolwich emploie en temps ordinaire de huit à dix mille ouvriers. Selon l’habitude de toutes les fabriques anglaises, ils sont payés à la fin de chaque semaine. La paie est encore une scène qui ne manque point d’intérêt. Une comptabilité si étendue exige un mécanisme qui se distingue par l’ordre et la rapidité. À cause du grand nombre d’ouvriers, le paiement commence le vendredi à une heure et se termine le samedi à deux heures de l’après-midi.

  1. Une des améliorations consiste à séparer la poudre des balles dans l’intérieur de la bombe. On arrive ainsi à calculer plus sûrement le moment de l’explosion. D’autres perfectionnemens ont été introduits dans les compositions chimiques et les matières explosibles par M. Tozer, un des intendans de l’arsenal.