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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/372

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de mise. Elle a eu jusqu’ici le mérite de persister dans le bien, soit : a-t-elle tout fait pour connaître le mieux et pour nous en instruire ? Le moment serait venu pour elle de se montrer à la fois plus curieuse et plus libérale. Nous ne lui demandons pour cela ni une transformation radicale, ni un coupable détachement des grands exemples du passé. Oui sans doute, l’étude de l’antique est et doit demeurer une loi nécessaire de la sculpture moderne, parce que l’antique est la plus haute expression du beau, et qu’en dehors du beau la sculpture n’existe pas. Oui, cela est certain aussi, la traduction de la forme par le ciseau a des exigences immuables, des règles qu’une fois trouvées, on ne saurait enfreindre sans avilir la majesté du corps humain et la majesté de l’art lui-même. Pourtant ce corps, si admirable que Dieu l’ait fait, est-ce assez d’en célébrer seulement les proportions et les harmonies, d’en comprendre et d’en reproduire à souhait la grâce ou la noblesse ? N’oublions pas qu’il est aussi, qu’il est surtout le sanctuaire de l’âme, et que l’imitation, même accomplie, des apparences de la nature ou de l’art antique nous donnerait tout au plus la moitié des enseignemens qui importent, des secrets qu’il s’agit de révéler. Quelle est donc la tâche de nos sculpteurs ? quel moyen leur reste-t-il de nous ramener au goût et à l’intelligence de l’art sans sacrifice compromettant comme sans obstination excessive ? Ce serait méconnaître les droits du bon sens et les conditions prescrites à la statuaire que de prétendre supprimer, au profit exclusif de la beauté immatérielle, la beauté visible et palpable. Il ne suffira pas non plus de définir celle-ci conformément à certains types admis et de s’assimiler, même aussi heureusement que l’a fait Simart, le sentiment et le style antiques. Le salut nous paraît être entre ces deux partis. Il faut se servir des anciens modèles pour en approprier les principes et les termes à des aspirations, à des croyances que l’antiquité n’a pas connues ; il faut, comme disait le peintre Orsel à propos d’autres travaux, « baptiser l’art grec. » Tant que la sculpture en France n’aura pas été régénérée par ce bienfaisant baptême, elle aura beau multiplier les produits et les témoignages d’habileté ; elle ne réussira pas, je le crains, à avoir raison de notre indifférence : elle continuera de dépenser à peu. près en pure perte une érudition plus ou moins sûre, des efforts diversement studieux. La sculpture, en un mot, restera ce qu’elle est aujourd’hui, une exception et un contraste, au lieu de devenir, comme il lui appartient, un des symptômes de la pensée générale, une des formes du progrès.


HENRI DELABORDE.