Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En disparaissant de la scène, les hommes rouges ont cédé la place aux blancs et aux noirs, seuls possesseurs et seuls cultivateurs depuis plus d’un siècle des îles caraïbes. Par l’intelligence, la fortune, l’éducation, par tous les dons naturels et acquis, les blancs tiennent le premier rang et, même depuis que les lois ont proclamé l’égalité, imposent leur supériorité aux noirs, qui forment de beaucoup la majorité numérique. Rejeton des deux races, la tige mulâtre prend la place intermédiaire, croît et se fortifie par la fortune autant que par le nombre.

La race blanche s’est recrutée en France dans toutes les classes de la nation. Les cadets de famille, traités alors par les lois comme le sont encore aujourd’hui les cadets anglais, allaient demander aux aventures lointaines une fortune digne de leur naissance, quelquefois un abri contre les lettres de cachet, contre les édits qui punissaient le duel, contre des créanciers intraitables. Ces gentilshommes se jetaient bravement dans les hasards et les périls. D’Énambuc et d’Ogeron aux Antilles, comme La Salle à la Louisiane, Flacourt à Madagascar, Cartier et Champlain dans l’Amérique du Nord, et avant eux Bethencourt aux Canaries, après eux La Bourdonnaye et Dupleix dans l’Inde, sont des héros de colonisation comparables aux plus brillans types de l’Espagne et du Portugal. La souche nobiliaire des premiers fondateurs s’accrut successivement des greffes qui lui vinrent de la grande propriété territoriale, des hauts fonctionnaires établis dans le pays, enfin de quelques Français émigrés qui avaient remarqué à la cour la beauté et la richesse des filles créoles. Grâce à ces émigrations et à ces alliances, il n’y avait guère, dans le siècle dernier, de famille en France qui n’eût son représentant aux colonies : aussi nos possessions d’outre-mer tenaient-elles dans le cœur de la patrie une place qu’elles ont perdue. L’oncle revenant des colonies millionnaire ou chevalier de Saint-Louis était l’espoir de tous les neveux, l’honneur de tous les châteaux, un personnage populaire des comédies.

L’ordre du clergé était représenté par des missionnaires, entre lesquels se distinguaient les capucins par leur humilité, les dominicains par leur science et leurs vertus, les jésuites par leur habileté administrative. Les uns et les autres, les derniers surtout, devenaient, pour les besoins et pour le compte de leurs maisons, planteurs, sucriers, commerçans, trop souvent spéculateurs. C’est à la Martinique qu’éclata en 1762 la banqueroute de 3 millions qui rendit fameux le nom du père La Valette, vicaire-général des jésuites et préfet apostolique de l’île, dont la condamnation prépara celle de l’ordre. De meilleurs souvenirs se rattachent à la mémoire de deux dominicains, le père Dutertre et le père Labat, témoins fidèles et historiens