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affranchie du joug napolitain, a obtenu tout ce qu’elle voulait, et s’enferme dans son égoïsme satisfait. Débarqué sur la terre ferme, il ne s’est point aventuré dans l’intérieur, où il n’eût trouvé qu’une passive indifférence ; il a suivi la côte à la façon des anciens conquérans de Naples, les Normands et les Espagnols, et n’a rencontré nulle part cette résistance qui laisse sentir un point d’appui possible derrière un obstacle passager. Un pareil homme ne peut pas avoir vu sans dégoût la conduite de la marine napolitaine, et ne peut pas nourrir de grandes espérances sur l’armée qui s’est fondue devant lui. Ces préoccupations soucieuses ont dû l’accompagner aussi dans la fête populaire de la madone de Piè di Grotta et dans cette église où, à travers la haie des gardes nationaux, il est allé, le 8 septembre, occuper la place du roi, de même qu’il avait donné à Palerme la bénédiction pontificale. Peut-être ce découragement, plus encore que la pression des annexionistes et autant que le conseil d’une modération habile, l’a-t-il décidé à remettre sur-le-champ la flotte napolitaine à l’amiral piémontais, le comte Persano, et à donner le pouvoir à un ministère modéré.

Il était aisé de pressentir que le succès de Garibaldi à Naples pousserait le gouvernement piémontais à quelque résolution décisive. Ce gouvernement ne pouvait pas conserver plus longtemps son attitude expectante et passive sans abdiquer la direction de l’Italie et tomber dans une inaction aussi triste que périlleuse. Il était déjà trop tard pour enrayer le mouvement des volontaires à l’heure où Garibaldi touchait la terre ferme. Il était manifeste que, l’eût-il voulu, le gouvernement piémontais ne pouvait plus alors tenter la lutte ouverte sans se perdre, sans perdre encore avec lui et les derniers élémens d’ordre qui restent dans la péninsule, et la cause de l’indépendance italienne. Une seule voie lui était ouverte : marcher d’accord avec Garibaldi, et sceller cet accord par une initiative hardie qui replaçât le gouvernement piémontais à la tête du mouvement italien. C’est parce que l’entreprise de Garibaldi menait inévitablement et prochainement à cette extrémité que nous avons mis tant de chaleur à demander au Piémont de s’arrêter quand on en avait encore l’occasion et le pouvoir. Désormais, il serait oiseux de répéter des exhortations qui ne sont plus applicables à la situation présente, il serait absurde d’y puiser un texte à récriminations stériles. Témoins impuissans des événemens, nous avons, moins encore que ceux qui les décident, le pouvoir d’en faire rebrousser le cours, et il nous est tout au plus donné d’en déduire les conséquences prochaines par des appréciations attentives et pratiques. Les élémens de la situation de l’Italie et de la situation de l’Europe dans ses rapports avec l’Italie sont maintenant changés. Nous pouvons bien apporter des sentimens de tristesse et de regret dans l’examen des nouvelles perspectives qui nous sont ouvertes, mais nous sommes obligés de les accepter telles qu’elles sont, de souhaiter, suivant notre habitude, qu’il en sorte le moindre mal possible, et de nous rattacher à tous les moyens qui pourraient en atténuer les mauvaises