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je dis de mettre les chevaux. Ils étaient à peine à la voiture qu’on vint de la part de M. de Watteville apporter pour moi à l’hôtel un paquet cacheté, qui me fut remis. Je n’y trouvai que mon mémoire ; le passeport allemand n’y était pas. Cela me parut singulier ; mais, pressé comme je l’étais de partir : — Apparemment, dis-je en moi-même, que je n’ai besoin que de l’autre, visé et bien en règle comme il l’est. — Je mis en toute hâte le mémoire dans mon portefeuille, je payai l’hôte, montai en voiture, et me revis avec une grande joie roulant vers la France.

Je dînai à Aarberg à table d’hôte, seul avec quatre jeunes militaires du contingent de ce canton, dont un était capitaine. Pendant tout le repas, ils parlèrent entre eux en allemand avec beaucoup d’action, et ne firent pas plus d’attention à moi que s’il n’y avait eu là que ma chaise. Ils savaient pourtant fort bien le français ; pour que je n’en doutasse point, l’un d’eux m’offrit deux ou trois fois à boire et me servit des plats qui étaient devant lui très poliment et en fort bon langage ; puis ils se mettaient à baragouiner de plus belle. Je me crus dispensé de me gêner pour des gens qui se gênaient si peu pour moi ; dès que je n’eus plus rien à faire à table, je sortis et me retirai dans la chambre où j’avais attendu le dîner. J’y étais en conversation avec un petit Horace de poche, mon inséparable vade mecum, quand le capitaine entra, et, après m’avoir salué, me dit qu’ayant en second le commandement du lieu sous les ordres de M. le colonel Fuessly, il était obligé de me demander mon passeport. Je le lui donnai sans répondre : il le regarda de tous les côtés, parcourut tous les visa dont il était couvert, et lut enfin le dernier, de M. de Watteville. Il le relut avec attention, me rendit le passeport, me salua de nouveau et sortit.

Quand l’heure que mon cocher avait fixée pour le départ fut venue, car on est aux ordres de ces messieurs, je quittai Aarberg, comptant bien n’y pas revenir, arriver quelques heures après à Neuchâtel, et coucher le lendemain en France ; mais c’est ici que devaient commencer mes plus rudes épreuves.

Nous avions dépassé Anet, et il ne nous restait que deux petites lieues à faire, quand nous trouvâmes un avant-poste militaire à droite du chemin. Un sous-officier vint me demander mon passeport ; je le donnai. Le sous-officier rentra dans le corps de garde, en ressortit un moment après tenant une lettre dépliée à la main, me regarda à plusieurs reprises en la lisant, appela un soldat, lui remit la lettre dans laquelle il enferma mon passeport, lui donna un ordre en indiquant de la main qu’il allât vite en avant, et me dit ces seules paroles : « On va aller avec vous jusqu’au poste. » Le soldat se mit à courir devant la voiture, et fut rendu au poste avant nous. J’étais un peu inquiet de ce déploiement de précautions et de