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de rien moins que de lui élever de son vivant une statue sur la place de Jouy. Cette proposition, chaudement appuyée, eût été adoptée sans l’intervention du principal intéressé, qui dut multiplier les démarches et les prières pour échapper à un honneur inusité. Oberkampf était alors devenu, nous ne dirons pas seul maître, puisqu’il l’avait toujours été, mais seul propriétaire de la manufacture. Son association avec M. Demaraise était arrivée à son terme à la fin de 1789. Elle ne fut pas renouvelée. L’inventaire, clos au 31 décembre, défalcation faite des créances douteuses, s’était élevé à près de 9 millions de livres. La liquidation se fit dans un parfait accord, et la séparation des intérêts, chose rare, laissa intacte l’amitié qui avait toujours uni les deux associés et leurs familles.

On peut marquer ici dans l’existence de la manufacture de Jouy la fin de ce qu’on pourrait appeler la période d’ancien régime. Elle se signale par un continuel développement de prospérité dû à l’énergique direction d’un homme, à sa sagacité commerciale, à son admirable esprit de bienveillance et d’équité. Les progrès techniques, bien qu’on les ait toujours poursuivis, n’ont consisté encore qu’en des perfectionnemens de détail ou des emprunts faits à l’étranger. La révolution va modifier puissamment les conditions du travail et de la consommation. Pour satisfaire à l’accroissement des besoins de la vie générale, la science entre dans le domaine de l’utile et renouvelle l’industrie. La manufacture de Jouy a participé à ce grand mouvement, et nous aurons à signaler dans la seconde période de l’existence de ce grand établissement des inventions qui, en transformant les procédés de fabrication, l’ont, du vivant de son fondateur, maintenu toujours au premier rang.


II

La fête de la fédération, célébrée au Champ-de-Mars le 14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille, fut comme le symbole de l’unité de la France régénérée. Elle avait exalté les cœurs à Jouy, et l’idée vint tout naturellement de faire servir l’industrie à en propager la mémoire. On commanda un grand dessin, qui fut gravé sur cuivre et imprimé en camaïeu pour tentures. Le sujet eût suffi pour appeler la vogue ; mais au mérite de l’A-propos se joignait l’attrait de la nouveauté industrielle, car la Fédération fut un des premiers essais de ce genre de toile peinte que Jouy devait porter à un haut degré de perfection. Les grands sujets vont dès lors se succédant d’année en année jusqu’en 1815. Citons au hasard la Fête flamande, le Lion amoureux, Tancrède et Herminie, le Loup et l’Agneau, le Meunier, son Fils et l’Ane, Psyché et l’Amour, les Colombes, Don Quichotte, le Paysage suisse. Les dessins étaient dus au