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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/615

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crayon d’artistes distingués, tels que Huet, Hippolyte Lebas, Heim, Demarne, etc. Cette fabrication n’est peut-être point passée entièrement à l’état de souvenir, et dans quelques vieilles maisons de province l’on pourrait retrouver fanées, mais toujours solides, plusieurs de ces anciennes tentures. Outre les peintres, d’un talent reconnu, auxquels on avait recours pour les sujets historiquev, Oberkampf s’était attaché des ouvriers qui étaient de véritables artistes. Aussi, qu’il s’agît d’arabesques ou de grands ramages, le goût était toujours uni aux caprices de la fantaisie. Quant aux dessins à fleurs, la flore exotique ajoutait ses splendeurs aux richesses de la flore indigène, et l’on cherchait aussi des inspirations dans les œuvres des maîtres du genre, van Spaendonck et Redouté. Les graveurs étaient eux-mêmes des hommes de choix, et l’art contribuait ainsi puissamment à accroître le succès que la fabrication de Jouy devait à la bonne qualité de ses étoffes et à la solidité des couleurs.

Oberkampf voulut remédier d’une manière absolue au défaut d’espace dont les effets se manifestaient périodiquement. Vainement les constructions avaient-elles été multipliées dans le vaste enclos, les prévisions se trouvaient sans cesse dépassées par les développemens de la fabrication. Il en était de l’établissement comme de ces robustes adolescens de grande venue dont on a beau renouveler les vêtemens, et qui semblent toujours s’y trouver à l’étroit. Cette fois les constructions furent conçues de manière à suffire à toutes les exigences de la production. Le plan avait été étudié, sur les indications d’Oberkampf, par un architecte de Paris. L’édifice, construit sur pilotis, fut commencé en 1791 et s’éleva avec rapidité. Deux ou trois bâtimens accessoires complétèrent la nouvelle manufacture. Le rez-de-chaussée contenait les presses d’impression à la planche de cuivre et l’imprimerie au bloc. Ce dernier atelier remplissait une salle immense, éclairée par quatre-vingt-huit fenêtres, renfermant cent trente-deux tables, et, fixés au plancher, des appareils de petits rouleaux destinés à faire sécher la toile à mesure que s’opérait l’impression. Chaque imprimeur ayant au bout de sa table un tireur, on avait ainsi un total de deux cent soixante-quatre travailleurs qui fonctionnaient avec une pleine liberté de mouvemens, car on avait ménagé au milieu de la salle une large voie pour les besoins du service. Aux étages supérieurs se trouvaient les bureaux et les divers ateliers des dessinateurs, des graveurs sur bois et sur cuivre, des rentreurs et des rentreuses, l’imprimerie des châles et le dépôt des moules, que l’on conservait par milliers, car certains dessins obtenaient, comme les bons livres, l’honneur de plusieurs éditions. Il y avait une salle où travaillaient trois cents pinceauteuses, assises par escouades devant des tables symétriquement disposées. Le grenier occupait toute l’étendue du bâtiment ; il servait de séchoir pour les