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ce qu’à défaut de preuves, la tradition se charge d’expliquer. En l’année 1477, trente-deux ans après la mort du dernier van Eyck et peu de jours après la bataille de Nancy, un soldat de Charles le Téméraire entrait blessé à l’hôpital Saint-Jean de Bruges. La guérison se fit attendre, et pendant les ennuis de la convalescence, le patient, se souvenant qu’il était peintre, demanda des pinceaux. Les sœurs hospitalières tombèrent en extase devant l’œuvre de leur malade. On le choya, on l’adopta dans la maison ; il y passa plusieurs années, et par reconnaissance, lorsqu’il quitta ces bonnes sœurs, il leur donna ses tableaux.

Est-ce une histoire, est-ce un roman ? Le. récit, quel qu’il soit, n’a rien d’invraisemblable. Qu’on songe à la splendeur de Bruges, alors la reine de la Flandre, à l’éclat qu’avait pris son école de peinture, où depuis les van Eyck on voyait accourir, aux dépens de Cologne, toute la jeunesse du nord ; que dans cette ruche d’artistes le plus habile n’ait pas été le plus heureux ; que malgré son talent, par dégoût, par dépit, par inconduite ou par caprice, il ait voulu se faire soldat ou le soit devenu à son corps défendant, de par les recruteurs du duc de Flandre et de Bourgogne, il n’y a rien là de très extraordinaire. Un grand peintre caché sous la cuirasse et sous le hoqueton se révélant dans une salle d’infirmerie, c’est après tout une plausible explication du trésor de peinture enfoui dans cet hôpital.

Ce qu’il y a de certain, c’est que le trésor existe, qu’il est là depuis bientôt quatre cents ans, et que jamais il n’est sorti de ces silencieuses murailles. Ni les commissaires de notre république, ni les préfets de notre empire, lorsqu’ils faisaient leur moisson de chefs-d’œuvre, n’ont su découvrir ceux-là. Qui leur en eût parlé ? L’ancienneté de ces peintures était leur première garantie ; on professait alors un si parfait dédain pour ce qu’on appelait les : productions de l’art à son enfance ! Si l’Agneau de van Eyck n’avait pu être soustrait au périlleux honneur du voyage à Paris, c’est qu’il trônait dans une cathédrale, au milieu des cierges et de l’encens, qu’il était