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l’orgueil de sa ville. C’est presque à titre de relique qu’on l’avait enlevé, tandis que notre pauvre hospice a si chétive apparence, ses murs de briques sont si simples et sa porte est si basse, que l’idée ne vint pas d’y heurter. Aussi les tableaux d’Hemling ont encore leurs volets.

Cette complète obscurité, qui fut alors leur sauvegarde, on ne peut la comprendre aujourd’hui. Comment croire, quand on voit ces peintures, qu’on les ait oubliées un seul jour ? Ces sortes d’apathies publiques qui peu à peu suppriment le souvenir d’un chef-d’œuvre sans qu’on sache comment ne sont pourtant pas sans exemple, témoin l’histoire du Cenacolo de Florence. Seulement ce n’est pas sous la suie qu’on a découvert ces tryptiques comme la fresque de Raphaël : il y a même lieu de croire qu’ils ont toujours été conservés avec soin ; mais sans les négliger on les laissait dans l’ombre. Je n’exagère rien en disant qu’il y a trente ans encore, un étranger, un curieux passant à Bruges une journée n’avait aucune chance de rencontrer quelqu’un qui lui donnât conseil de visiter l’hôpital, et que si par hasard il entendait parler d’une certaine châsse admirablement peinte et dévotement conservée dans ce lieu, essayer de la voir était du temps perdu, car il trouvait les portes closes. Je me souviens des peines que dut prendre pour me les faire ouvrir, il y a tout justement un peu plus de trente ans, en 1829, un habitant de Bruges, ministre actuel du roi des Belges, et qui déjà, quoique bien jeune encore, était en crédit dans la ville par sa famille, sans parler même de son esprit. M. van Praet, dès le premier guichet, fut contraint de parlementer. La châsse était dans la chapelle ; à peine la pouvait-on voir, et d’un côté seulement. Quant aux tableaux, placés dans un ancien parloir, ce fut toute une affaire que d’en trouver la clé ; notre insolite curiosité avait porté le trouble dans la paix de cette maison.

Quel contraste aujourd’hui ! La porte est tout ouverte ; on vous attend ; vous faites partie du contingent de visiteurs que chaque journée doit fournir. Ne craignez plus qu’on vous laisse partir sans vous parler d’Hemling : tout Bruges le connaît maintenant : c’est le nom populaire, le premier nom que vous diront ces guides qui vous guettent au sortir du wagon. Ces odieux persécuteurs, en vous promenant par la ville, vous feront encore voir, comme autrefois, et le beffroi, ce campanile incomparable, le plus hardi, le plus fier des clochers, et le tombeau de Marie de Bourgogne, et la chapelle du Saint-Sang, et la maison de ville, et la grande cheminée, sans compter tant de groupes de maisons pittoresques que vous rencontrerez çà et là dans ces rues, dans ces places si vastes et si désertes ; mais tout cela pour eux est comme suranné : ce qui est maintenant la nouveauté de Bruges, c’est l’hôpital Saint-Jean. Que dis-je, l’hô