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gouvernement est contesté par l’existence de partis dynastiques. Cet argument, nous l’avouerons, est loin de nous accabler. Nous comprenons que, même sous un régime de liberté, un gouvernement ne laisse point attaquer son principe. Nous ne serions pas plus surpris de voir un journal poursuivi et condamné pour s’être livré à des provocations séditieuses que de voir arrêter un citoyen qui pousserait des cris séditieux dans la rue. Nous ne voudrions, quant à nous, imputer à aucun gouvernement la pensée qu’il lui serait impossible de se défendre par le droit commun et par la justice ordinaire du pays contre des attaques factieuses. S’il existe des partis chez nous, ce n’est la faute de personne ; cela tient aux révolutions qui se sont opérées violemment parmi nous. Nous avons vu dans l’espace d’une vie humaine plusieurs gouvernemens tomber successivement par des coups de force, et c’est par cette intervention de la force dans la chute des gouvernemens que nous nous expliquons l’indocilité que certains esprits ont opposée aux arrêts changeans de la fortune, la fidélité qu’ils ont eu à cœur de garder à des convictions désintéressées qui défient les triomphes de la force ; mais quand nous voyons opposer à ces fractions indépendantes là suprême autorité et la toute-puissance du suffrage universel, nous ne pouvons croire que cette poignée d’obstinés puisse nous priver longtemps encore du bienfait de la pleine liberté. Le suffrage universel se privant de la liberté par crainte de quelque minorité, c’est une mutilation et une contradiction qui surpasseraient notre intelligence. Le suffrage universel se condamnant à être aveugle, sourd et muet pour éteindre quelques regards malveillans, pour fermer quelques oreilles trop ouvertes, pour clore quelques bouches indiscrètes, nous paraîtrait pousser jusque par-delà les limites du croyable l’abnégation et l’humilité. Comment reculerait-il devant des expériences courageusement acceptées ou entreprises par des gouvernemens antérieurs, et dont le souvenir vaut à ces gouvernemens le bon renom qu’ils ont gardé ? Puis, et c’est une considération que nous soumettons à demi-voix à la loyale raison de M. de Persigny, il se mêle à cette question de liberté certains élémens de droit, certains principes de justice. Pense-t-on affaiblir ses adversaires quand on laisse entre leurs mains le dépôt du droit, la revendication de la justice ? Nous allons plus loin : nous supposerons tout ce que l’on voudra, que ceux en défiance de qui l’on suspend les progrès de la liberté sont de mauvais citoyens et des hommes pervers. Il y a une pensée qui nous a toujours fait frémir, c’est que des gouvernemens, des partis, des causes politiques, pussent de gaieté de cœur abandonner aux méchans cette fonction auguste en elle-même, terrible dans leurs mains, de défenseurs exclusifs d’une parcelle quelconque de la justice et du droit. Politique, vous commettez une faute envers vous-même, si vous laissez à vos adversaires cette supériorité sur vous ; honnête homme, vous commettez une prévarication véritable, si vous livrez un tel avantage aux doctrines et aux passions mauvaises.

Mais ce n’est pas contre M. de Persigny que nous plaidons cette grande