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Tandis qu’en France et ailleurs on a représenté l’essaim des volontaires comme trop nombreux pour ne pas ressembler à un défi, les Anglais se plaignent, au contraire, de ne point en avoir encore assez, et avisent chaque jour aux moyens d’accroître cet élément de défense nationale. Ils ont dû alors rechercher les causes qui dans l’origine avaient limité l’essor du mouvement patriotique. La principale de toutes, et la seule sur laquelle j’insisterai, a été le peu de concours des ouvriers. Faut-il se demander si dans les commencemens on n’a point refusé leurs services ? J’aime mieux croire qu’ils ont été tenus à l’écart par les conditions matérielles du système. Le principe étant que chaque volontaire devait s’équiper, s’armer, s’instruire et se procurer les munitions de guerre à ses frais, on comprend très bien que les classes vivant au jour le jour du travail manuel aient contribué tout d’abord pour une faible part au développement de l’institution. Quoi qu’il en soit, tout le monde reconnaît aujourd’hui la nécessité d’élargir la base du mouvement, en descendant vers les couches de la population qui ont fourni jusqu’ici peu de recrues à l’armée civile. Les traditions historiques de l’Angleterre sont toutes en faveur de ce point de vue. Les artisans figuraient en grand nombre parmi les volontaires qui, sous le règne d’Élisabeth, repoussèrent les menaces de l’invasion espagnole. Bien peu de personnes, il faut le reconnaître, ont d’ailleurs jamais nié que les ouvriers anglais ne dussent occuper une place dans la nouvelle organisation militaire ; ils ont le même droit que les autres à porter les armes, ayant les mêmes intérêts à défendre. Ne possèdent-ils point un foyer et des affections domestiques ? N’ont-ils point des femmes, des enfans, de vieilles mères à défendre ? Quant au danger politique, il n’existe point en Angleterre ; le pays n’a plus de libertés essentielles à conquérir, et ses institutions n’ont rien à craindre de la pointe des baïonnettes. Les armes du progrès, armes pacifiques, sont ici les meetings, la libre discussion, une presse qui ose tout dire, et elles arrivent bien mieux au but, sans effusion de sang, que ne le feraient les balles des tirailleurs les mieux exercés. On a même observé que l’organisation des volontaires avait à la fois un caractère démocratique et conservateur ; quelques ouvriers chartistes, enrégimentés dans les rangs, fiers de l’honneur de porter les armes et de la confiance du gouvernement, qui descendait jusqu’à eux, se distinguent aujourd’hui entre tous par l’ardeur avec laquelle ils acclament les principes de la constitution anglaise. Doit-on s’étonner que dans cet état de choses les membres libéraux de l’aristocratie et de la classe moyenne cherchent à jeter la sonde, selon leur