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publique américaine, une époque d’agitation et d’effervescence politique ; ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les ressources de la tactique électorale qu’un parti se résigne à laisser le pouvoir passer pour quatre ans aux mains de ses adversaires. Cette fois encore la victoire a été chaudement disputée, et la rivalité de quatre candidats, qui ont maintenu jusqu’au bout leurs prétentions, a présenté un spectacle que l’inion américaine n’avait pas vu depuis trente-cinq ans. La lutte des partis néanmoins n’a pas offert le même intérêt qu’en 1856. La situation actuelle n’est en effet que la conséquence et le développement naturel d’une révolution morale qui était déjà consommée il y a quatre ans, et dont tous les esprits observateurs avaient pu dès lors mesurer la portée.


I.

L’élection de 1856 fera époque dans l’histoire des États-Unis : elle marque un de ces momens décisifs qui ne se représentent qu’à de longs intervalles dans la vie des nations. L’Union vit alors se réaliser un fait dont la seule prévision excitait, depuis vingt ans, la plus vive inquiétude chez tous les hommes d’état américains, et qui avait été signalé d’avance comme le précurseur infaillible de la chute de la république. À toutes les élections précédentes, le suffrage universel avait prononcé entre deux hommes ou plutôt entre deux systèmes politiques qui, quels qu’ils fussent, comptaient des partisans et recueillaient des voix dans toute la confédération. En 1856, pour la première fois, la confédération se coupa en deux sections distinctes : une moitié de la république donna l’immense majorité de ses suffrages à un prétendant qui n’eut pas une seule voix dans l’autre moitié, et dont la candidature y fut même l’objet d’une véritable proscription. En-deçà d’une certaine ligne géographique, il y allait de la liberté et de la vie à se prononcer ou à écrire en faveur du colonel Frémont. Les états du sud déclaraient hautement qu’ils se retireraient de l’Union si le candidat du nord était élu, et le gouverneur de la Virginie, M. H.-A. Wise, annonça qu’il marcherait sur Washington à la tête des milices virginiennes pour se saisir du Capitole et des archives fédérales.

Il y avait loin sans doute de la menace à l’exécution d’un pareil projet ; néanmoins les périls qu’une scission aussi profonde entre le nord et le sud créait à la république parurent assez sérieux pour