Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/827

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout animal chacune d’elles se rattache à une cause distincte? Il nous répugnerait de le croire. Lorsqu’il s’agit des manifestations de l’un de ces petits mondes que nous appelons un individu, bien plus encore que quand il s’agissait des forces physico-chimiques générales, l’esprit éprouve le besoin de remonter à quelque chose qui soit en harmonie avec cette unité. Il aime à reporter à une cause unique tous ces actes spontanés qui se prêtent un appui mutuel et concourent presque constamment au même but; mais quelle sera cette cause, et quel nom lui donnerons-nous? D’autres ont essayé de répondre à ces questions. On a beaucoup écrit sur l’âme des bêtes, on a cherché à en expliquer la nature et le mode d’action. Nous ne serons pas si hardi. Là où l’expérience et l’observation font défaut, nous croyons toujours devoir nous arrêter. Il suffit d’avoir montré que si l’on a séparé l’animal du végétal, c’est que chez lui se manifeste un ensemble de faits dont rien n’avait pu donner une idée ni chez les plantes, ni dans les groupes précédens, qu’il y a chez eux quelque chose de fondamentalement caractéristique.

De ce qui précède, il résulte que les naturalistes n’ont pas fondé les premières divisions de la nature sur la composition chimique, car le règne minéral comprend tous les corps simples connus et toutes leurs combinaisons inorganiques, — qu’ils n’ont pas tenu compte davantage de l’état moléculaire, car ce même règne minéral renferme des corps solides, liquides et gazeux. Entraînés par la force des choses, sciemment ou sans bien s’en rendre compte, ils se sont adressés à ce que les corps, les êtres, ont de plus général, de plus absolu dans leur nature, dans leurs rapports avec la création. Or, en procédant du simple au composé, en s’élevant des corps bruts à l’animal, on voit apparaître à chaque empire, à chaque règne, tout un ensemble de faits, tout un ordre de phénomènes complètement étranger aux groupes inférieurs, mais qui se retrouve dans les groupes supérieurs. Là est évidemment le caractère essentiel de ces grandes divisions primordiales. Ce résultat, indépendant de toutes les hypothèses qui ont pu guider ceux qui l’ont proclamé, reçoit chaque jour la sanction de l’observation et de l’expérience. Voilà pourquoi les siècles l’ont respecté et pourquoi la science moderne, avec toutes ses ressources nouvelles, n’a en définitive qu’à le confirmer[1].

  1. Les trois règnes minéral, végétal et animal sont à peu près universellement admis par les naturalistes. Le règne sidéral est moins généralement accepté. Le règne humain, dont nous allons nous occuper, a compté dans le passé et compte encore aujourd’hui plusieurs partisans. Indépendamment de ces cinq groupes plus ou moins universellement admis, quelques naturalistes ont proposé d’autres divisions du même ordre, en se fondant sur des considérations de nature très diverse; mais la plupart de ces conceptions n’ont guère été admises que par les auteurs mêmes, qui parfois les ont abandonnées plus tard. On trouvera dans le tome second de l’ouvrage déjà cité de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire un excellent résumé historique de cette partie de la science et une discussion approfondie de la plupart des questions qu’elle soulève.