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Villafranca trouvait l’Europe indécise, mécontente de tout le monde et d’elle-même pour le rôle qu’elle avait joué, la France presque aussi étonnée de la paix qu’elle l’avait été de la guerre et mêlant à sa vaillante confiance une légère incrédulité, l’Italie déçue, amèrement déçue et comme arrêtée un moment dans le vol de ses espérances. Au fond, la question italienne restait entière avec ses complications et ses énigmes, si ce n’est qu’elle était transportée du Tessin sur le Mincio, partout même où l’esprit d’indépendance si puissamment excité se trouvait aux prises avec des souverainetés compromises ou déjà passées à l’état d’ombres errantes, de telle sorte que la paix de Villafranca, qui était une fin à quelques égards, était aussi un commencement sous d’autres rapports, — le commencement confus et mystérieux d’une situation dont nul ne pouvait préciser le caractère, la portée et les suites. C’était un appel à l’avenir; l’avenir a répondu plus vite et d’une façon plus foudroyante qu’on ne l’eût pensé peut-être.

Qu’on ne s’y méprenne pas en effet : ce qui se passe sous nos yeux au-delà des Alpes, depuis plus d’une année déjà, est un des plus grands et des plus rares spectacles de l’histoire, spectacle surprenant non-seulement par cette succession de péripéties aux couleurs éclatantes et bizarres, mais encore par la nature singulière et émouvante des événemens, par le caractère des problèmes qui s’agitent, par la lutte d’idées, d’intérêts, de principes, qui est au fond de ce drame si méthodiquement désordonné. Vu du haut de l’intérêt général et européen, c’est la chute de tout un côté de cet édifice branlant de 1815, construit bien évidemment, il y a près d’un demi-siècle, dans un esprit d’hostilité envers la France, souvent ébréché par les uns ou les autres, plus souvent mal réparé ou violemment étayé et définitivement démantelé dans sa partie la plus vulnérable : si bien que ce qu’on nomme encore le droit public n’est plus réellement aujourd’hui qu’un certain état de possession couvert du bénéfice du temps, un certain équilibre de défiances ou de forces qui se respectent par respect pour la paix plutôt que pour les traités. Au point de vue italien, c’est la résurrection d’une nationalité qui se fait jour à travers les fissures de ce droit public disjoint. C’est l’effort d’un peuple qui n’a même pas un nom dans les œuvres de la diplomatie, et qui veut cesser de s’appeler le Lombard-Vénitien, le Modenais, le royaume de Sardaigne ou la Toscane, pour conquérir son vrai nom d’Italie; d’un peuple qui poursuit imperturbablement la plus étrange des entreprises avec un mélange d’audace et d’habileté, jouant sa fortune avec un emportement de passion qui n’exclut pas le calcul, téméraire si le succès est à ce prix, souple et fin s’il le faut, grand politique en même temps que grand agitateur,