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hommes de couleur libres n’ont l’autorisation d’assister en grand nombre à une réunion de prières avant le lever ou après le coucher du soleil. Passé neuf heures du soir, même lorsqu’ils ne forment qu’une faible partie de l’assemblée, ils n’ont plus le droit d’adorer leur Dieu, et les hommes de patrouille, pénétrant violemment dans leur chapelle, peuvent infliger à chacun d’eux vingt coups de fouet pour avoir osé prier à l’heure où les étoiles brillent au ciel[1].

Ce n’est pas tout : la liberté de circulation, cette liberté si précieuse, surtout en Amérique, est virtuellement interdite aux affranchis. Ils n’ont pas le droit de réclamer de passe-ports, car ils ne sont pas citoyens des États-Unis, et tout récemment encore une dame de sang-mêlé à laquelle on avait par méprise accordé un passe-port américain ne put le faire viser à Londres par le ministre de sa patrie. Suspects à cause de leur couleur, qui les fait prendre pour des esclaves, les affranchis ne peuvent voyager hors de leur commune sans s’exposer à la prison, ou bien aux insolences des blancs qu’ils rencontrent. Dans le Tennessee, on ne leur permet pas de voyager en wagons de chemin de fer à moins qu’un planteur ne fournisse pour eux une caution de 1,000 dollars. S’ils ne consentent à s’exiler complètement du territoire de la république américaine, ils sont de fait internés dans le lieu de leur résidence, et ne peuvent élire domicile dans un autre état à esclaves, sous peine d’être fouettés une première fois et d’être vendus aux enchères en cas de récidive. Hors du lieu de leur résidence, le premier venu peut les voler ou les vendre, car, en vertu d’une décision récente de la cour suprême des États-Unis dans l’affaire de l’esclave Dred Scott[2], « les nègres libres n’ont aucune espèce de droits que les blancs soient tenus de respecter. Ils peuvent justement et légalement être réduits en esclavage pour le profit du blanc. » Tout homme de couleur ou nègre libre, arrivant dans un port du sud à bord d’un navire quelconque, en qualité de cuisinier, de maître d’hôtel ou de matelot, est immédiatement transféré dans la prison de la ville, et le capitaine doit promettre de le reprendre à son bord en fournissant une caution de 1,000 dollars pour répondre du paiement des frais occasionnés par l’emprisonnement. S’il ne remplit pas toutes ces obligations, il peut être condamné à 1,000 dollars d’amende et à six mois de prison[3]. Telles sont les lois sévères que les législateurs des états du sud ont décrétées depuis quarante ans déjà, afin d’éviter les dangers dont la liberté des affranchis menace la sécurité des blancs.

Récemment encore, plusieurs sociétés composées d’esclavagistes

  1. Negro-law of South-Carolina, page 24.
  2. Voyez à ce sujet l’étude de M. C. Clarigny sur l’Élection présidentielle aux États-Unis dans la Revue du 1er décembre 1860.
  3. Negro-law of South-Carolina, page 15.