Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

américaine. Les états du sud semblent avoir tout ce qu’il faut pour distancer les états du nord dans la concurrence vers le progrès : terres d’une exubérante fertilité, ports excellens, baies intérieures, fleuves sans pareils, climat agréable, population intelligente. Les créoles sont en général grands, forts, adroits : l’instruction sérieuse et profonde est beaucoup plus rare chez eux que chez leurs compatriotes des états libres ; mais ils y suppléent par une grande présence d’esprit, un instinct divinatoire, Une remarquable abondance de paroles, de la clarté dans les discussions. La fréquentation des sociétés élégantes développe chez eux l’esprit, l’urbanité et d’autres qualités aimables ; l’habitude du commandement leur donne une démarche fière, un port de tête hautain, une manière de s’exprimer mâle et résolue. Comme les Spartiates qui montraient à leurs enfans les esclaves plongés dans l’ivresse, ils s’enorgueillissent en proportion du mépris qu’ils éprouvent pour leurs nègres avilis ; ils sont plus grands à leurs propres yeux de toute la distance qui les sépare des êtres qu’ils ont abrutis. Impatiens de contradiction et pointilleux sur les questions d’amour-propre, ils se laissent souvent emporter par la colère, et quand ils croient leur honneur en jeu, ils ne craignent pas d’en appeler au jugement de la carabine ou de l’épée ; de là ces scènes de duels, de violence et de meurtres, si fréquentes dans les états du sud. Moins intéressés que les Yankees, ils ont pour passion dominante, non l’amour du gain, mais l’ambition du pouvoir, des honneurs, ou bien de ces succès divers qui donnent une réputation dans les salons élégans. Ils se disent et peut-être sont-ils en réalité mieux doués que leurs voisins du nord pour les carrières de la diplomatie et de l’administration. Les présidens de la république ont été pour la plupart choisis parmi eux, et les hauts fonctionnaires nés dans le midi sont beaucoup plus nombreux que le rapport des populations ne pourrait le faire supposer ; grâce surtout à la solidarité de leurs intérêts et à leurs immenses richesses, ils se sont graduellement emparés de presque toutes les hautes positions de la république. Si les titres nobiliaires étaient rétablis aux États-Unis, nul doute que les hommes du sud n’en obtinssent la plus grande part. Eux-mêmes, les fils des misérables et des persécutés d’Europe, se disent patriciens et prétendent que leur caste remplace avec avantage l’aristocratie héréditaire de l’ancien continent. Leur richesse, leur influence, le degré de respect qu’on leur accorde n’augmentent-ils pas avec le nombre de leurs esclaves, des boucauts de sucre ou des balles de coton qu’ils expédient ? Ne doivent-ils pas en même temps à l’esclavage une grande prépondérance politique, puisque pour chaque nègre ils ont droit à trois cinquièmes de voix en sus de leur propre vote de citoyens ?