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par les états à esclaves et faite en partie par la Caroline du sud deviendra définitive, ou bien si tout se bornera de la part des esclavagistes à de vaines rodomontades. Nous doutons fort qu’une scission politique sérieuse puisse avoir lieu, car les états du sud, auxquels ne s’allieraient en aucun cas les républiques du centre, le Kentucky, le Maryland, la Virginie, sont trop faibles et trop pauvres pour se passer de leurs voisins du nord. Quand même ils sauraient improviser un budget, une armée disciplinée, une flotte commerciale, une marine de guerre, sauraient-ils se donner l’industrie qui leur manque ? sauraient-ils se créer les innombrables ressources qu’ils doivent aujourd’hui à l’esprit ingénieux des Yankees ? sauraient-ils même se nourrir sans les farines, le maïs, la viande que leur expédient les villes du nord ? Une scission politique et commerciale absolue, celle que les Caroliniens du sud font semblant de proclamer, serait immédiatement suivie d’une effroyable famine.

Mais que la séparation entre les deux groupes d’états soit ou ne soit pas officiellement proclamée dans un avenir plus ou moins rapproché, on peut dire que la scission existe déjà. Les deux fractions ennemies n’ont plus rien de commun, si ce n’est le souvenir des guerres glorieuses de l’indépendance, les noms immortels de Washington et de Jefferson, les grandes fêtes nationales et l’orgueilleuse satisfaction de porter le nom d’Américains. L’opposition des intérêts les sépare, les défis se croisent sans cesse au-dessus des eaux de l’Ohio et du Missouri ; des bandes armées par chaque parti, ont fait du Kansas un champ de bataille ; le sang coule dans les plantations du Texas ; cent mille hommes de couleur, chassés de leur patrie, prennent le chemin de l’exil ; des boucaniers organisent la chasse au nègre ou même au blanc, et plus d’une fois des enfans de race anglo-saxonne ont été vendus sur les marchés du sud ; les faits de meurtre, de vol, de rapine, se succèdent sans interruption, et l’esprit public est toujours tenu en haleine par quelque horrible aventure. Telle est la paix qui règne entre les habitans du nord et ceux du sud. Les législatures elles-mêmes, peu soucieuses de leur dignité, s’envoient défis sur défis. Le gouverneur de la Géorgie propose de considérer comme nulles les dettes que des Géorgiens pourraient contracter envers des citoyens d’un état libre où des abolitionistes se seraient rendus coupables d’une abduction d’esclave. La législature de la Louisiane vote ironiquement la déportation, dans l’état abolitioniste du Massachusetts, de tous les nègres convaincus de meurtre. Pendant le procès de John Brown, de nombreux esclavagistes, — parmi lesquels une femme, — réclament la faveur de servir de bourreau, et divers états du sud se disputent à l’envi le privilège de fournir le chanvre qui pendra