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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/164

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points de vue sur lesquels nous venons d’insister. Ray avait compris l’importance de la filiation ; Tournefort ne tenait compte que de la ressemblance dans son essai de définition.

À en juger par les termes qu’ils ont employés pour définir l’espèce, on pourrait rattacher à Tournefort un assez grand nombre de naturalistes dont les préoccupations habituelles sont rarement dirigées vers l’étude des fonctions organiques, tels que des entomologistes, des ornithologistes, des paléontologistes. La plupart des physiologistes au contraire ont adopté les idées de Ray et les ont parfois exagérées en ce qu’ils ont supprimé de leurs définitions toute allusion à l’importance des caractères communs[1]. Dans les deux cas, il y avait une véritable erreur par omission. Pour avoir une notion complète de l’espèce, il faut on le sait, tenir compte des deux élémens. C’est ce que comprirent fort bien Linné et Buffon. Le premier, il est vrai, n’a donné nulle part une définition proprement dite ; mais A. Laurent de Jussieu n’a guère fait que formuler ses idées à cet égard quand il a dit : « L’espèce est une succession d’individus entièrement semblables perpétués au moyen de la génération. » Quant à Buffon, il est on ne peut plus explicite ; pour lui, « l’espèce n’est autre chose qu’une succession constante d’individus semblables et qui se reproduisent. »

La plupart des définitions données par les naturalistes modernes se rattachent de près ou de loin aux précédentes. Je me bornerai à citer les principales[2]. — Cuvier définit l’espèce « la collection de tous les corps organisés nés les uns des autres ou de parens communs, et de ceux qui leur ressemblent autant qu’ils se ressemblent entre eux. » — Pour de Candolle, « l’espèce est la collection de tous les individus qui se ressemblent entre eux plus qu’ils ne ressemblent à d’autres, qui peuvent, par une fécondation réciproque, produire des individus fertiles, et qui se reproduisent par la génération, de telle sorte qu’on peut par analogie les supposer tous sortis originairement d’un seul individu. » — Pour Blainville, « l’espèce est l’individu répété dans le temps et dans l’espace. » — Vogt regarde l’espèce comme résultant « de la réunion de tous les individus qui tirent leur origine des mêmes parens et qui redeviennent, par eux-mêmes ou par leurs descendans, semblables à leurs premiers ancêtres[3]. »

  1. J’ai moi-même donné dans cette exagération sous la première influence des découvertes relatives aux phénomènes généagénétiques ; mais je n’ai pas tardé à revenir à des idées plus justes, et en 1856 j’ai donné dans mon cours au Muséum la définition que cette étude fera connaître.
  2. M. Geoffroy a réuni dans son livre un grand nombre d’autres définitions de l’espèce, et je ne puis mieux faire que de renvoyer le lecteur à cet ouvrage.
  3. On voit que ce naturaliste fait ici allusion aux phénomènes de généagenèse.