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ces expressions absolues, il y a des sous-entendus et des réserves. L’invariabilité, que cette école proclame si haut, ne s’entend que des caractères essentiels, fondamentaux. Jamais elle n’a pu parler d’une identité qui n’existe nulle part. En fait, Lamarck lui-même admettait une certaine constance ; de même l’école qui le combat admet une certaine variabilité. Nous allons maintenant aborder l’étude des phénomènes de cet ordre, et rappeler d’abord ceux qu’on observe chez l’individu isolé lui-même, lorsqu’on l’observe à diverses époques de son existence.

Sans parler des animaux à métamorphoses, où les différences d’un âge à l’autre sont si énormes ; sans parler des changemens si considérables qui s’accomplissent chez le fœtus encore enfermé dans l’œuf ou dans le sein de sa mère, qui ne sait que dans tous les groupes du règne animal il est des espèces dont les jeunes ressemblent si peu aux adultes, que des observations suivies permettent seules de les identifier ? Qui ne sait que chez l’homme lui-même, l’enfant, l’homme fait, le vieillard, sont au premier coup d’œil trois individus distincts ? Ces changemens, dira-t-on, tiennent à l’essence même des êtres ; ils sont la conséquence de leur évolution normale. Cela est vrai, mais le fait n’en est que plus important à rappeler ici. À lui seul, il suffit pour prouver que l’individu vivant n’est pas quelque chose d’absolument fixe, d’immuable. C’est seulement un champ limité, défini, où la vie apporté et d’où elle emporte des matériaux, tantôt d’une manière continue, tantôt à des momens donnés, maintenant, mais modifiant aussi dans certaines limites, et par une épigenèse incessante, les formes qui sont pour nous des caractères spécifiques. Quiconque tiendra suffisamment compte de ces phénomènes sera préparé à comprendre et à accepter des faits d’un autre ordre, et bien plus importans au point de vue qui nous occupe.

En effet, à côté des modifications en quelque sorte nécessaires dont nous venons de parler, on en constaté d’autres qui n’ont aucun rapport avec le développement normal, et ne peuvent être regardées que comme accidentelles. Pour s’en tenir à l’homme seul, on voit chez lui des individus revêtir alternativement quelques-uns des caractères propres à des groupes humains justement distingués les uns des autres. S’il existe des races blondes et des races brunes, on voit tous les jours des enfans blonds et roses se changer en adultes à la chevelure noire, au teint pâle et foncé. Quoique plus rare, la réciproque se présente quelquefois ; et j’en connais un exemple. Dans les races blanches, le mélanisme, c’est-à-dire la coloration noire de là peau, se montre assez souvent d’une manière partielle et temporaire, chez les femmes enceintes par exemple. Camper cite à ce sujet l’observation recueillie chez une jeune femme dont le corps tout entier, à l’exception de la face et du cou, avait pris