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bonbonnières, dont le passant peut le soir, de la rue, admirer tous les détails : salons illuminés al giorno, les dames au piano ou à la table à ouvrage, les hommes au whist ; le tout net, coquet, pimpant, de véritables intérieurs de Gérard Dow.

Le jour même de mon arrivée, il s’agissait de remplir ma bourse en m’assurant un renfort de l’assez désagréable monnaie de papier qui seule a cours légal dans l’île, et je me rendis dans la vieille ville, au bureau de M. Hémond, banquier, dont le nom figure sur ma lettre circulaire de crédit. Par un hasard assez singulier, M. Hémond est précisément le signataire du fragment de lettre trouvé dans la poche de l’habit de ce malheureux Français que j’ai rencontré en mai dernier sur le Great-Trunk-Road, et en faveur duquel j’ai fait appel à tes bienveillantes recherches. Je m’étais bien promis d’obtenir de M. Hémond quelques éclaircissemens sur le sort de ce pauvre diable ; mais à peine eus-je prononcé le nom de Vinet que le banquier a pris un air mystérieux, et tout ce que j’ai pu tirer de lui, c’est qu’il croyait se rappeler qu’il avait été chargé par un Français venu d’Australie, et réparti depuis pour l’Europe, de faire passer dans l’Inde une somme d’argent à un sieur Vinet. Mon interlocuteur n’a pas manqué d’ajouter que, si la chose m’intéressait, il aurait soin de prendre des renseignemens plus précis aussitôt que le commis qui avait traité cette affaire serait de retour de Nangasaki (Japon), où il se trouvait pour le moment. Ces offres faites du bout des lèvres, du ton d’un homme qui veut écarter poliment un questionneur indiscret, m’ont confirmé plus que jamais dans l’opinion que la destinée de l’artiste voyageur cache quelque profond mystère. Au reste, suivant toute apparence, ce mystère ne sera que trop promptement éclairci. Une lettre du docteur James, vieille déjà de plus de deux mois, et qui m’attendait poste restante à Batavia, m’annonce que son malade va de mal en pis, et qu’avant peu mon correspondant aura la triste mission d’ouvrir les dernières volontés dont le cachet a été scrupuleusement respecté jusqu’ici. Je n’ai bas besoin d’ajouter que je n’ai pas négligé sur ma route de prendre des renseignemens sur ce prestidigitateur italien qui a si cruellement délaissé son camarade sur son lit de mort ; mais les informations qui m’avaient fait croire au départ du signor Carabosso pour l’Australie via Singapour étaient sans doute erronées, car ni à Penang ni à Singapour je n’ai pu découvrir la trace du passage de ce drôle.

Après cette digression, je retourne à Batavia et à la ville chinoise, où j’ai passé de longues heures d’intéressantes flâneries, Batavia renferme dans son sein une population chinoise active et considérable qui a conservé fidèlement les mœurs et les costumes de la mère-patrie. Sur la grande place, sans grands efforts d’imagination, vous pouvez facilement vous croire au plus profond du Céleste-Empire :