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C’est ce sentiment qui pèse sur le cours de la rente et qui, malgré la richesse du pays, malgré les facilités avec lesquelles on paie l’impôt, malgré les augmentations des revenus indirects, l’empêche de s’élever au-dessus de 70 fr. M. le rapporteur du dernier budget se félicitait que, depuis 1852, l’accroissement naturel des revenus indirects, en dehors des impôts nouveaux, eût été de 263 millions. Il y aurait lieu de se féliciter bien davantage de cette augmentation, si elle suffisait pour défrayer les supplémens de dépenses et mettre le budget en équilibre.

Que dirait-on d’une administration qui augmenterait ses frais dans une proportion plus forte que l’accroissement de ses revenus ? C’est ce que fait l’état ; non-seulement il ne se contente pas de l’augmentation des revenus indirects, mais il y ajoute de nouveaux impôts, supprime l’amortissement, et pourtant il n’obtient pas encore l’équilibre, car, nous le répétons, ce n’est point équilibrer les budgets que de ne les solder qu’avec les excédans des derniers emprunts. Tant que la richesse publique ne subit pas d’entraves et se maintient en voie de progrès, nous payons tout ce qu’on nous demande, et si le produit des impôts ne suffit pas, reste encore le crédit pour subvenir aux différences ; mais à l’approche de la moindre crise, les ressources diminuant et les besoins augmentant, on se trouve en présence d’un déficit plus ou moins considérable, qu’on ne peut plus combler que par des taxes extraordinaires, comme l’impôt des 45 centimes, ou par des emprunts contractés à des conditions plus ou moins onéreuses, en faisant supporter aux générations futures tout le poids de notre imprévoyance. C’est là une situation des plus fâcheuses, et le public prouve bien qu’il en a la conscience quand il laisse la rente à 70.

Veut-on que la rente prenne toute l’élasticité qu’elle devrait avoir en présence du progrès de la richesse publique, veut-on qu’elle atteigne les cours qu’elle a connus autrefois, ceux même qu’elle a eus encore en 1853 : il faut absolument que les budgets cessent de grossir, comme ils le font d’année en année. Nous avons aujourd’hui d’autant plus besoin de ménager nos ressources que nous sommes en face d’une réforme importante, qui ne peut s’accomplir que dans de bonnes conditions financières, c’est-à-dire la réforme douanière et les dégrèvemens qu’on se propose d’apporter successivement aux matières premières et à certains objets de grande consommation. Déjà en 1860, pour opérer quelques-uns de ces dégrèvemens, on a dû supprimer l’amortissement, maintenir les taxes de guerre, établir même des impôts nouveaux. Si l’on doit continuer ainsi, si l’on ne peut retrancher d’un côté qu’à la condition d’ajouter de l’autre, on compromettra beaucoup le mérite d’une telle réforme, sans