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au jour ou restés inédits, traditions publiques, traditions privées, jugemens des écrivains de l’époque et souvenirs des témoins survivans, l’auteur a tout réuni avec un soin religieux. Il a la prétention d’être complet. À mon avis, il l’est beaucoup trop ; un peu plus d’art en telle matière aurait mieux convenu que cette accumulation de détails souvent inutiles et de textes quelquefois sans valeur. Ce n’est pas ainsi que procède M. Léopold Ranke, et M. de Reumont lui-même dans ses précédentes études savait se montrer plus sobre. Le diplomate en maints endroits a fait grand tort à l’historien, M. de Reumont connaît si bien les lois de l’étiquette, il a un respect si profond de l’aristocratie européenne, qu’il lui en coûte de rencontrer sur son chemin un personnage considérable sans lui faire aussitôt mille cérémonies. Il le salue, il énumère ses titres, il expose sa généalogie. On pourrait citer tel chapitre de ce livre qui ressemble à un article de l'Almanach de Gotha. Malgré ces défauts, l’ouvrage de M. de Reumont mérite une attention sérieuse, et l’on doit des remercîmens à l’auteur pour le soin qu’il a pris de recueillir ainsi toutes les informations, de confronter tous les témoins. Si nous pouvons dessiner d’un trait sûr la physionomie de la royale comtesse, si nous parvenons à entrevoir toute la vérité derrière les voiles mystérieux qui la couvraient plus qu’à demi, n’oublions pas que ce guide savant et scrupuleux a bien simplifié notre tâche.


I

Au mois d’août de l’année 1771, le prince Charles-Edouard, qui se trouvait alors à Sienne, fut mandé subitement à Paris par M. le duc d’Aiguillon, ministre des affaires étrangères. On sait que Charles-Édouard, fils du prétendant, petit-fils de Jacques II, arrière-petit-fils de Charles Ier, était alors le dernier des Stuarts, ou du moins le dernier représentant de leur cause, son frère cadet, le duc d’York, ayant quitté le monde pour l’église et reçu à l’âge de vingt-deux ans le chapeau de cardinal. Charles-Edouard, accompagné d’un seul serviteur, part de Sienne le 17 août ; il traverse Florence, Bologne, Modène, et, dépistant les espions que l’Angleterre entretenait autour de lui, il fait répandre le bruit qu’il se dirige vers la Pologne, où l’appelaient des parens de sa mère, Marie-Clémentine Sobieska. Quelques jours après, il arrive à Paris. Un de ses cousins du côté gauche, le duc de Fitz-James, est chargé de le voir secrètement et de lui transmettre les propositions du cabinet de Versailles. L’héritier des Stuarts recevra du gouvernement français, une rente annuelle de deux cent quarante mille livres à la condition de se choisir une compagne et de l’épouser au plus tôt.