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perdu. Ce qu’il cherchait, en Toscane comme dans les états du saint-siège, c’était un souverain disposé à reconnaître son titre de roi d’Angleterre. Or le grand-duc de Toscane en 1774 était le second fils de Marie-Thérèse, le frère de l’empereur d’Allemagne Joseph II, celui qui devait lui-même, sous le nom de Léopold II, porter, seize ans plus tard, la couronne impériale. C’était un prince philosophe, nourri des idées du XVIIIe siècle, les acceptant toutes, bonnes ou mauvaises, à la fois libéral et despote, avide d’illustrer son nom par des réformes et nivelant des institutions qu’il fallait seulement rectifier, esprit imprudent, impatient, mais généreux, et sous qui la Toscane, éclairée par les disciples de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau, a devancé plusieurs conquêtes de la révolution française. Un adversaire aussi résolu de la société du moyen âge ne pouvait pas éprouver de sympathies pour la cause du petit-fils de Jacques II ; toutes les tentatives du prétendant sur ce point furent absolument vaines : Pierre-Léopold n’eut pas même de rapports personnels avec Charles-Edouard.

Faut-il attribuer à cette humiliation les rechutes vulgaires du prétendant ? Pendant les premières années de son mariage, il semblait avoir adopté un genre de vie plus digne de sa naissance ; peu de temps après son établissement en Toscane, on voit sa santé s’altérer de nouveau et ses goûts d’autrefois s’afficher sans vergogne. C’était décidément à l’ivresse qu’il demandait l’oubli de ses espérances trompées. Il n’allait plus au théâtre sans emporter une bouteille de vin de Chypre ; étendu ensuite dans un fauteuil, il s’endormait si profondément que ses domestiques avaient grand’peine à le porter jusqu’à sa voiture. Sa santé, on le pense bien, était singulièrement compromise par de tels désordres. Atteint d’hydropisie, ses forces diminuaient sans cesse, et déjà le mal avait envahi la poitrine. On voudrait savoir quel a été le rôle de la princesse auprès d’un tel mari, on voudrait savoir si elle a exercé quelque influence sur sa conduite, si elle a tenté de relever son cœur, de le rappeler au sentiment de lui-même, si elle a essayé enfin de guérir le malade avant de s’en détourner avec dégoût. Par malheur, ces renseignemens nous manquent. La seule chose certaine, c’est que le comte d’Albany (tel était désormais le titre qu’il était réduit à porter) devint odieux à sa compagne. Ses chagrins, ses humiliations, les désordres de sa vie, l’horreur qu’il s’inspirait à lui-même, les remords qui l’obsédaient au réveil, tout irritait cette âme inquiète et la poussait à des violences qui aggravaient encore ses fautes. « Il maltraite sa femme de toutes les manières, » écrivait un diplomate anglais, sir Horace Mann, à la fin du mois de novembre 1779.

Deux années avant cette date, un jeune gentilhomme piémontais, ardent, enthousiaste, fou de poésie et ignorant comme un Vandale,