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en rien deviner que son souverain eût pris en cette occasion le seul parti digne d’un cœur élevé et d’un sage esprit, celui d’écrire au roi, de saisir cette triste, mais unique occasion d’effacer le passé, de renouer des rapports qui n’auraient jamais dû cesser d’exister.

« Cette pensée me dominait, et si le moindre mot de M. de Nesselrode m’y eût autorisé, j’aurais pu la dire à un homme qui, j’en ai la conviction, partageait intérieurement et mon opinion et mes idées à cet égard ; mais sa réserve commandait la mienne. Ce qui s’est passé depuis huit mois ne m’encourageait pas à m’en départir le premier. Ce que j’aurais dit dans le cours de mes relations confidentielles et intimes ne pouvait trouver place dans un entretien tout officiel.

« Si j’avais pu hésiter sur la conduite à tenir, vos directions mêmes, monsieur, m’auraient tiré d’incertitude. Je suis convaincu avec vous que, devant nous tenir prêts à accueillir toute espèce d’ouvertures ou d’avances, nous avons aussi toutes raisons de ne pas les provoquer. Dans le cas actuel, l’initiative nous appartenait moins que jamais.

« Le lendemain, quand je suis allé remercier le vice-chancelier de sa démarche, il ne s’est pas montré plus explicite.

« L’incertitude est la même pour tous, et. le corps diplomatique s’agite vivement pour savoir ce qui a été fait, si l’empereur a écrit, s’il a écrit dans la seule forme qui donnerait à sa lettre une véritable importance.

« Je puis vous assurer, monsieur, que chacun le désire, que chacun en sent l’à-propos et comprend les conséquences de l’une et de l’autre alternative. Ou c’est une ère nouvelle qui va s’ouvrir, que chacun souhaite sans oser l’espérer, ou c’est la preuve évidente qu’il n’y a rien à attendre d’un entêtement que chacun blâme et dont chacun souffre. Ces sentimens, ces craintes, ces désirs, ne sont pas seulement ceux des étrangers, ils appartiennent à la société russe tout entière ; je le dis hautement, et si je ne puis être suspecté de partialité en sa faveur, je suis trop heureux de cette disposition des esprits et je respecte trop la vérité pour ne pas vous en instruire.

« Si l’empereur n’a pas compris ce qu’exigeaient les plus simples convenances, ce que lui imposaient le soin de sa propre dignité, ses devoirs de souverain, de hautes considérations de politique et d’avenir, il sera jugé sévèrement non-seulement par l’Europe, mais par ses sujets.

« Au moment où j’écris, monsieur, vous êtes bien près de connaître la vérité. De toutes manières, un bien quelconque doit sortir de cette situation. Les rapports entre les deux souverains, entre les