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viennent d’être invoquées. Un vieux souvenir m’a rendu plus difficile. J’ai eu dans ma jeunesse la bonne fortune d’assister à la discussion rendue célèbre par Brillat-Savarin, où le président Henrion de Pansey fit avouer à M. Laplace que la Cuisinière bourgeoise était un livre infiniment plus intéressant que la Mécanique céleste, — qu’aucune découverte d’étoiles ne vaudrait jamais pour l’humanité l’invention du fricandeau, — que l’Institut de France serait incomplet tant qu’il n’y siégerait pas une section de cuisiniers pour donner une direction philosophique aux travaux des sections de chimie, de zoologie et de botanique. — Trois révolutions accomplies au nom du progrès n’ayant point exaucé les vœux de l’illustre président, je n’ai pas trouvé dans le sein de l’Institut de solution culinaire de la question posée sur la mort du poisson, et je l’ai déférée à M. Chevet, dont le laboratoire, situé au Palais-Royal, est connu de toute l’Europe. Un demi-savant se serait prononcé d’abord sans aucune hésitation. M. Chevet doute, pèse, examine et relève, chemin faisant, plus d’un fait qui donne à penser. Il remarque que l’agonie de la carpe et celle de l’anguille durent de quarante à soixante heures, et qu’un état de souffrance si prolongé ne peut manquer d’altérer leur constitution ; il attribue la supériorité du saumon fumé de Hollande au contact des pêcheries et des ateliers de salaison, contact qui facilite la rapidité des opérations, et dont l’effet est l’expulsion immédiate du sang et des intestins et la conservation dans le tissu de la chair d’une huile essentielle qui s’échappe ou se décompose dans une préparation trop lente. Enfin il termine une lettre pleine d’observations judicieuses par cette proposition à l’adresse de toutes les cuisines de France : Faire pêcher deux poissons de même sorte, de même grosseur, dans les mêmes eaux ; en saigner un, laisser l’autre mourir ; faire cuire ces deux poissons en temps convenable, dans deux cuissons séparées, mais parfaitement identiques, et comparer. — M. Chevet a raison : experientia rerum magistra, a dit avant lui Cicéron, dont il entend assez bien la langue ; mais, si j’ose l’avouer, j’ai peur, à quelques passages de sa lettre, que les études physiologiques ne soient pas à Sainte-Barbe au niveau des humanités. Or il suffit d’un petit nombre de notions imparfaites, sinon pour jeter la cuisine expérimentale dans d’interminables égaremens, du moins pour allonger beaucoup devant elle le chemin de la vérité. C’est à un savant dont les travaux ont la plus haute autorité en physiologie que j’ai recouru pour rendre ce chemin le plus direct et le plus lumineux possible, et voici la réponse textuelle de M. Claude Bernard à mes questions sur les effets de la lenteur ou de la promptitude de la mort touchant la comestibilité de la chair du poisson.

« Depuis longtemps, dit-il, j’ai constaté que chez tous les animaux