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ajouta-t-il, par l’extravagance de leurs offres, et nous avons tout lieu d’y trouver à dire, car en général nous employons les mêmes agens et les mêmes intermédiaires. »

« Quand sir Robert Wilson assura le tsar que le sultan Mahmoud accomplirait infailliblement les réformes entreprises par son prédécesseur Sélim, Alexandre parut très frappé de cette prédiction, qui devint, soit alors, soit lorsque l’empereur eut rejoint l’armée, le sujet de fréquentes discussions.

« En congédiant sir Robert Wilson après l’avoir comblé de distinctions honorifiques, sa majesté impériale lui renouvela solennellement les assurances qu’elle lui avait données précédemment. « Plutôt que de mettre bas les armes avant la complète évacuation du territoire, disait l’empereur, je laisserais croître ma barbe jusqu’à ma ceinture, et j’irais vivre de pommes de terre au fond de la Sibérie ! » Il autorisait en même temps sir Robert Wilson (chargé de suivre l’armée russe en qualité de commissaire britannique) à s’interposer, à intervenir, avec toute l’autorité, toute l’influence que ce titre lui donnait, pour défendre les intérêts de la couronne impériale, toutes les fois qu’il verrait quelque disposition ou viendrait à découvrir quelque plan de nature à leur porter dommage…

« Les impératrices, qui prenaient à cette époque une part active à toutes les transactions ayant pour objet de maintenir l’empereur dans ses dispositions belliqueuses, exprimèrent, chacune séparément, à sir Robert Wilson l’assurance positive qu’elles mettaient dans la fidélité scrupuleuse avec laquelle le tsar tiendrait sa parole. Elles s’engagèrent à faire en sorte que tous ceux des généraux influens qui étaient honorés de leur confiance personnelle ne pussent douter de leurs sentimens à cet égard.

« Au sujet de la Turquie, l’empereur accédait en principe à la cession demandée, pourvu que la Turquie maintînt vis-à-vis de lui son attitude absolument pacifique ; mais il ajouta qu’il achèverait cette négociation avec lord Cathcart. Cette information fut communiquée immédiatement à M. Liston, qui représentait l’Angleterre auprès du sultan. Les pourparlers s’ouvrirent ensuite avec lord Cathcart, qui cependant mettait un certain scrupule à choisir, pour obtenir ces sacrifices de la Russie, un moment où l’on ne semblerait plus abuser des revers qu’elle subissait alors. Cependant, à force d’attendre, par pure déférence, l’occasion la meilleure pour la révision du traité de Bucharest, on manqua tout à fait ce résultat, car, dit en terminant sir Robert Wilson, après la retraite de l’armée française, l’empereur éluda toutes les démarches qui furent faites pour le rappeler à cet engagement… »

Telle était cette « inviolable bonne foi » dont l’agent anglais s’était fait le garant si bénévole, et dont il parle encore dans son livre, écrit en 1825, avec un certain respect[1].

  1. Sir Robert Wilson veut bien cependant reconnaître que la Turquie était « en droit de se plaindre. » En effet, la Russie lui devait beaucoup pour avoir repoussé les propositions qu’Andréossi lui apportait au nom de la France. Si elle y eût prêté l’oreille, l’armée de Moldavie eût dû retourner aux bords du Danube, et ce simple résultat aurait pu exercer l’influence la plus décisive sur le sort de la campagne. S’il faut en croire sir Robert Wilson, la Russie depuis lors « a payé sa dette. » Ce fut lorsqu’elle envoya un corps d’armée à Unkiar-Skelessi pour maintenir le sultan contre les attaques de l’armée du pacha d’Égypte. — Cette compensation ne nous paraît pas sérieuse. Ce n’était pas dans l’intérêt de la Turquie, mais au contraire en vue de sa ruine, prévue et désirée, que la Russie agissait alors. Elle savait, elle sait encore que certaines protections sont mortelles, et que la conquête de Constantinople par le pacha d’Égypte pouvait devenir pour l’empire ottoman le point de départ d’une sorte de régénération.