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Pour mieux assurer l’exécution des ordres que lui suggérait sa prudence, le généralissime russe donna pour compagnon à Doctorov le général Yermolov, le meilleur administrateur de l’armée russe, homme d’esprit d’ailleurs, dont un mot célèbre est resté sur les événemens qui nous occupent[1]. Sir Robert Wilson ne pouvait manquer à une telle expédition. La place de cet implacable ennemi de l’empire était toujours là où il y avait quelque fatal conseil à donner, quelque inspiration hardie à faire naître. — I love a good hater, disait Johnson, le rude pédant. Il se fût, à ce titre, incliné devant son compatriote.

Doctorov se mit en campagne dès le 23 octobre. Le même jour, Miloradovitch avait ordre de se présenter à Voronovo devant Murat, qu’on supposait encore posté sur la route de Taroutino à Moscou, et dont on voulait ainsi détourner l’attention. À Aristovo, sur la route de Fominskoïe, après avoir franchi à peu près douze milles, Doctorov s’arrêta, et, sur les rapports qui lui arrivaient de toutes parts, convoqua un conseil de guerre, dont sir Robert Wilson faisait naturellement partie. L’ennemi était signalé en force (douze mille hommes au moins) à quatre ou cinq milles de l’endroit couvert où la division russe était encore cachée. Fallait-il l’attaquer sans plus de retard ? Le général anglais ne fut pas de cet avis. Les officiers russes l’en remercièrent avec effusion. Laissés à eux-mêmes et en face de leurs soldats, qui demandaient impérieusement le combat, ils eussent voté à l’unanimité : En avant coûte que coûte ! Les sentimens bien connus de sir Robert Wilson leur permettaient d’accepter les conseils que sa prudence lui suggérait, et ils eurent à s’applaudir de les avoir suivis, car, une heure après la décision prise, un célèbre partisan russe, le colonel Sislavin, arrivant au galop, leur apprenait « qu’il venait de voir l’armée française tout entière en marche d’Ignatovo sur Fominskoïe. » D’autres Cosaques, survenant presque en même temps, rapportèrent que l’ennemi, en nombre considérable, avait occupé Borovski Enfin un officier français, qu’on venait de ramener prisonnier, consentit à reconnaître que Moscou était évacué, l’empereur à Ignatovo ; la grande armée, dirigée à l’ouest, allait quitter la Russie.

On ne pouvait se tromper sur le but de ce grand mouvement rétrograde. Il menait les Français vers Malo-Jaroslavets. C’était là, sans nul doute, qu’il fallait se porter immédiatement, et Doctorov pouvait aisément nous y devancer. Si Kutusov, prévenu sans une

  1. Complimenté après la guerre de 1812 sur les grandes choses qu’ils avaient accomplies, le maréchal Kutusov et lui : « Voilà une erreur, répondit-il. C’est Dieu et saint Nicolas qui ont fait la besogne de Kutusov et la mienne, et il faut avouer que nos bévues leur ont donné bien du fil à retordre. » — Narrative of Events, p. 219.