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oppose sans retour dans cette affaire, les protestans et les catholiques, Leibniz et Bossuet. On voit d’un seul coup d’œil que, pour les premiers, c’est une négociation qui doit mettre d’accord les deux partis sans humilier, sans froisser ni l’un ni l’autre ; pour les derniers, c’est une controverse, d’où il faut que l’un des deux partis sorte vainqueur. La négociation doit se terminer par une transaction, la controverse par une conversion. Ce que veut Leibniz, c’est la paix ; ce que poursuit Bossuet, c’est la victoire.

Ainsi l’esprit diplomatique est aux prises avec l’esprit scolastique. L’un cherche un compromis honorable ; l’autre, ne ménageant que les formes, entend bien que l’adversaire cède, en reconnaissant intérieurement qu’il a tort. Le désir de l’union amène ceux-ci, le besoin de la domination conduit ceux-là. Ici l’on combine des termes d’accommodem.ent qui satisfassent des hommes raisonnables, là des conditions de capitulation qui contentent une stricte orthodoxie. L’un veut transporter le traité de Westphalie dans le domaine des consciences, l’autre l’annuler dans ses conséquences morales, et remplacer l’égalité des droits par la soumission à l’autorité. Bossuet raisonne au fond comme il aurait pu faire, si Gustave-Adolphe avait été battu.

Peut-être aggravera-t-on la contradiction pour l’expliquer, et, scrutant le fond des cœurs, verra-t-on dans ce conflit celui de l’indifférence et de la foi. Après avoir fait Leibniz trop catholique, on le fera moins que chrétien. Je sais que, comme dit Fontenelle, « on l’accuse de n’avoir été qu’un grand et rigide observateur de la loi naturelle. » J’ignore ce qui en est, mais il suffit et il est plus juste de le juger sur ses opinions déclarées. Or Leibniz a toujours fait profession de christianisme. Sans doute il était un défenseur zélé de la religion naturelle ; il soupçonnait ceux qui la sacrifiaient tout entière à la religion révélée de ne tenir ni à l’une ni à l’autre, ou de vouloir conserver l’édifice sans ses fondemens. Toutefois il ne se montre pas moins persuadé qu’une liberté agressive contre la religion révélée porterait atteinte à la réligion naturelle elle-même, et qu’à railler même la superstition, on pourrait semer l’impiété. « Un siècle philosophique va naître, écrit-il au grand Arnauld, où le souci de la vérité, gagnant au dehors des écoles, se répandra même parmi les politiques… Il faut prendre garde que la dernière des hérésies soit, je ne dis pas l’athéisme, mais le naturalisme publiquement professé. » C’est en vue d’un tel danger qu’il souhaite un ralliement de toutes les églises aux principes communs du christianisme. La polémique entre elles l’inquiète ; il craint qu’elle n’engendre le doute et l’incrédulité, et les succès mêmes du principe de l’examen, qui est le sien, contre une autorité dogmatique qui défendrait des puérilités