Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou des abus avec la même ardeur que des dogmes fondamentaux, ne le laissent pas tranquille, et lui paraissent mettre en péril le fond de la croyance. De là ses vœux sincères pour une pacification religieuse, car c’est une pacification religieuse qu’il rêve. Il désigne lui-même sous le nom d'iréniques (pacifiques en grec) et les écrits et les travaux de ce moment de sa vie. Il ne peut s’accommoder d’une controverse illimitée, éternelle, et moins encore d’une prédication impérieuse, exclusive, qui impose silence à la raison et la resserre entre la servitude et l’incrédulité.


II

Nous venons de toucher en effet l’offensante et vaine prétention qui rendra toujours intolérable pour les esprits équitables et fermés toute discussion et presque toute communication avec les docteurs qui la mettent en avant, et qui veulent toujours traiter de puissance à sujets. L’amnistie moyennant soumission, telle est au fond toute la tolérance du pouvoir absolu ; il ne sait pas offrir davantage. Leibniz, lui, ne connaît que la négociation de puissance à puissance et l’éclaircissement d’intelligence à intelligence. À travers ses formes respectueuses, il a un profond sentiment de la dignité de la raison, et il ne sait pas en abandonner les droits devant une autorité qui s’impose et ne se légitime qu’en s’affirmant. Il persiste à croire qu’on doit sentir autant que lui le prix de la paix, l’importance de la concorde chrétienne, et qu’on y saura faire, comme on le doit, quelques sacrifices. Il tend à l’union tempérée, conservatrice, c’est-à-dire qui réserve l’intimité des croyances personnelles et même l’existence distincte des églises ; il ne peut imaginer qu’on puisse offrir ni accepter l’union qu’il appelle absorbante, et qui annule tout au lieu de tout comprendre. Il pense que l’on peut se coaliser, se concerter, pour pratiquer, pour propager les préceptes de l’Évangile, en sauvant les principes des deux partis, salvis principiis, précisément ce que ses adversaires voulaient retrancher. Il imagine les contenter en compassant habilement des rédactions dogmatiques, des systema theologicum, qu’il lui semble que tout le monde peut souscrire sans une croyance et une interprétation identiques sur tous les points, comme on prête serment et respect aux mêmes lois sans les entendre de même et sans s’accorder sur la jurisprudence. C’est là proprement l’idée irénique, celle qui l’autorise à dire avec une entière confiance que celui qui a fait tout le possible « pour n’être point dans le schisme est en effet dans l’église, au moins in foro interno. » Ceux qui, pour le finir, exigeaient de l’une des parties