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de l’espèce, sont pour nous les races libres ou marronnes[1]. Ces trois sortes de races doivent être examinées séparément ; mais d’abord il faut préciser le sens d’un mot que nous avons déjà prononcé, qui reviendra très souvent dans tout ce qu’il nous reste à dire : c’est le mot de milieu.

Pour moi, ce mot signifie l’ensemble des conditions ou des influences quelconques, physiques, intellectuelles ou morales, qui peuvent agir sur les êtres organisés. Ce mot a donc ici un sens plus étendu que dans les écrits d’Hippocrate et de Buffon, qui, sur ce point, peut être considéré comme le disciple du père de la médecine. C’est surtout au climat, à la chaleur et au froid, à la sécheresse et à l’humidité, aux qualités et au plus ou moins d’abondance de la nourriture, que ces deux maîtres illustres attribuent le pouvoir de modifier l’homme et les animaux. Je vais bien plus loin, et la doctrine d’un autre esprit éminent, qui lui aussi fut disciple d’Hippocrate, comme l’a fort bien montré M. Michel Lévy[2], va me servir à expliquer ma pensée. Montesquieu veut que l’on accorde les institutions avec ce qu’il appelle le tempérament moral des peuples ; mais il ne voit guère que dans les conditions physiques extérieures l’origine première de ce tempérament. Par exemple, avec Hippocrate, il admet que le climat doux et uniforme de l’Asie prédispose les habitans de ces contrées à subir la tyrannie. Cette doctrine est juste dans une certaine mesure, mais elle est incomplète. À côté du climat sont les institutions et les mœurs, la polygamie et les harems. Mieux que jamais, depuis les récits de Mme la princesse de Belgiojoso, nous savons à quoi nous en tenir sur ces intérieurs que la poésie a peints avec des couleurs si fausses ; nous savons ce que sont ces femmes qui vivent là comme entassées et livrées à la plus entière oisiveté, à la plus complète ignorance. Elles n’en sont pas moins chargées de la première éducation des enfans. Quelles institutrices primaires ! Et comment s’étonner que les jeunes gens, les hommes sortis de semblables écoles soient usés, énervés au physique comme au moral ? Ces influences délétères agissant sur une longue suite de générations ont-elles pu ne pas exercer quelque action sur la race entière ? Évidemment non, et voilà comment la polygamie, le harem, font partie du milieu. Or l’un et l’autre, impossibles dans un pays chrétien, sont autorisés par l’islamisme. À la religion donc remonte la responsabilité des conséquences fatales indiquées plus haut. La religion fait donc aussi partie du milieu et contribue parfois pour une part considérable à la formation, des races humaines.

  1. Ce sont elles que M. Richard du Cantal) appelle les races naturelles.
  2. Pour ces rapprochemens fort justes, voyez l’excellent Traité d’Hygiène publié par l’honorable directeur du Val-de-Grâce.