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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/445

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vocation naît d’elle-même chez les esprits fiers et délicats. Par ennui du présent, ils se rejettent avec plus d’entrain sur l’étude des anciens jours, ils transportent alors involontairement dans la peinture des temps écoulés cette passion sincère et contenue de qui procède toute vie, et qui est la source même du talent. Observateurs attentifs et témoins émus de ce qui s’agite sous leurs yeux, ils ont plus de chance de deviner avec clairvoyance et de rendre avec vivacité ce qui s’est autrefois passé sur cette vieille terre que nous habitons, où toutes choses se succèdent si vite et par malheur changent si peu. Ainsi, sans trop d’efforts, sans trop long noviciat, se sont aujourd’hui formés tant de narrateurs excellens. C’est au milieu de. ce mouvement fécond, qui pousse de préférence vers les études historiques les hommes autrefois mêlés aux affaires de leur pays, qu’est née l’œuvre dont nous voulons entretenir les lecteurs de la Revue.


I

L'Histoire de la Restauration de M. Louis de Viel-Castel est un nouveau témoignage de ce que gagne l’histoire, et surtout l’histoire de notre temps, à être racontée par des écrivains qui ont trempé leur esprit au contact vivifiant de la politique, et mûri leur expérience par le maniement instructif des intérêts de notre société moderne. M. de Viel-Castel est du nombre de ces historiens qui ont eu le rare privilège de commencer de bonne heure leur apprentissage politique. Attaché à l’ambassade de Madrid peu de temps après la révolution d’Espagne, il y fut, par la bienveillance de ses chefs, placé tout de suite sur ce pied de confiante intimité qui, dans la carrière diplomatique, permet aux jeunes gens d’être vite initiés au secret des plus importantes négociations. Quelques années plus tard, son mérite le fît appeler dans les bureaux de la division politique des affaires étrangères. Sa place y était si naturellement marquée, il s’y rendit en peu de temps à tel point indispensable, que jamais aucun chef de ce département n’a depuis consenti, de son plein gré, à se priver de son concours. Les affaires étrangères n’occupaient pas alors le splendide palais qui étale maintenant sur le quai d’Orsay sa façade orgueilleuse ; elles étaient, tant bien que mal, établies au vieil hôtel de la rue des Capucines. C’est là que, du fond d’un étroit cabinet, placé au plus haut degré d’un escalier fort sombre, précédé de je ne sais combien de mystérieux couloirs et d’un incommode vestibule où je me souviens d’avoir vu tant d’ambassadeurs étrangers attendre leur audience pêle-mêle avec les garçons de bureau, M. de Viel-Castel a, pendant trente années consécutives, sauf un moment