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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/467

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du 17 et du 19 février, au lieu d’instructions précises que réclamait instamment le duc de Vicence, il ne lui envoyait, selon les justes expressions de M. de Viel-Castel, « que des reproches amers et de vagues récriminations mêlées de subtilités et de chicanes ! » « Je suis si ému de l’infâme projet que vous m’envoyez, disait la lettre de Surville, que je me crois déjà déshonoré rien que de m’être mis dans le cas qu’on vous le propose… Je crois que j’aurais mieux aimé perdre Paris que de voir faire de telles propositions au peuple français. Vous parlez toujours des Bourbons… J’aimerais mieux voir les Bourbons en France avec des conditions raisonnables que de subir les infâmes propositions que vous m’envoyez. Je rends grâce au ciel, ajoutait-il dans la même lettre, d’avoir cette note en main, car il n’y aura pas un Français dont elle ne fasse bouillir le sang d’indignation. » Napoléon se trompait étrangement. Ces propositions qu’il avait transmises à Paris, espérant qu’elles y exciteraient une explosion de colère patriotique, furent bien loin de produire cet effet sur le conseil de régence, composé pourtant de ses plus dévoués serviteurs et de ses propres frères. « La paix, la guerre, comme l’empereur voudrait,… tel était leur unique avis ! en laissant voir cependant que, si par hasard l’empereur préférait la paix, c’était bien là ce qu’ils préféraient tous[1]. » Au lieu d’une manifestation nationale dont il avait si grand besoin, on lui renvoyait une tremblante supplication pour la paix. « écrite en deux peurs : peur de lui, peur de l’ennemi[2]. » En supposant aux grands dignitaires de son empire une énergie dont ils étaient loin d’être capables, l’empereur s’était singulièrement mépris ; il ne se trompait pas moins, il se trompait d’une façon légère, à la fois et cruelle, quand il se plaignait du ministre qui à Châtillon défendait en ce moment avec tant de fermeté la cause de l’empire et surtout celle de la France.

Le duc de Vicence, soldat valeureux et plein de cœur, avait fait ses preuves sur maints champs de bataille ; il ne redoutait en aucune façon de recourir aux armes pour soutenir une politique qu’il aurait jugée conforme aux intérêts de son pays. Nul goût du repos, nulle considération de famille, de rang ou de fortune ne paralysait chez lui, comme chez d’autres partisans du régime impérial, l’élan d’un généreux patriotisme. Plus que personne, il souffrait de la dureté des conditions contre lesquelles il n’avait pas un instant cessé de se débattre. Lorsqu’il avait reçu carte blanche de l’empereur à une époque ou ses plus dévoués serviteurs, le maréchal Berthier, le duc de Rovigo et le duc de Bassano, le pressaient si fort pour qu’il

  1. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 501-502.
  2. Ibidem.