Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’émigration, de grands changemens dans la propriété et dans le fermage, de grands changemens dans la législation ; il y a eu, à vrai dire, une révolution économique, sociale et politique. Indépendamment de la différence des temps et des situations, le livre de M. de Beaumont est d’une tout autre nature et d’un tout autre esprit que l’article de M. l’abbé Perraud ; il n’est pas aussi fort, pour me servir de l’expression bizarre employée dans la lettre qu’on va lire.


A M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES

« Paris, 8 janvier 1861.

« Monsieur le directeur, je suis l’ecclésiastique français que M. Jules de Lasteyrie, dans votre numéro du 15 décembre dernier (page 790), a désigné comme s’étant plu, par un grand désordre moral, à faire l’apologie du crime, et, dans ses complaisances pour le crime, à justifier un assassinat. — J’ai écrit, et jusqu’à trois fois, à M. de Lasteyrie pour le prier de retrouver ces indignités dans l’article du Correspondant qu’il incrimine, tout prêt à les désavouer et à les effacer aussitôt qu’elles m’auraient été indiquées. — M. de Lasteyrie a bien voulu me répondre, mais il n’a pas jugé à propos de faire droit à ma demande.

« En relisant cet article du Correspondant, j’ai conscience de n’avoir rien écrit d’aussi fort que ces paroles de M. G. de Beaumont, lorsqu’il traite la question des assassinats agraires, et que, s’adressant aux maîtres de l’Irlande, il leur dit : « Toutes vos rigueurs pour rétablir l’ordre et la paix seront stériles, parce que l’ordre que vous prétendez faire régner est la discorde même, parce que la paix que vous voulez établir est une violence et une oppression. Cette guerre sociale a éclaté parce que l’égoïsme du riche a été poussé à un excès qui devait révolter le pauvre (6e édition in-12 ; p. 249). »

« Je n’ai pas dit non plus, comme le même auteur, que l’aristocratie irlandaise, par ses fautes ou par ses vices, a laissé s’accumuler dans le pays confié à ses soins une masse de maux si énorme, que les infortunés sur qui le fardeau pèse le secouent, ne pouvant plus le porter (ibid.). — Je ne sache pas cependant qu’on ait jamais accusé M. de Beaumont d’avoir fait l’apologie du crime et justifié l’assassinat, et il n’eût pas été moins surpris que je ne l’ai été, si M. de Lasteyrie fût venu publiquement donner à ses paroles une interprétation aussi injuste. C’est ce que M. de Lasteyrie a fait à mon égard, et sans citer aucun texte. Cependant mon devoir plus encore que mon droit est de ne pas laisser croire aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes qu’un prêtre a pu enseigner la morale que m’impute M. Jules de Lasteyrie ; et j’espère ne point aller contre la justice ni contre la modération, si je lui demande une dernière fois et publiquement de vouloir bien citer les paroles directes ou indirectes dont je me suis servi pour faire l’apologie du crime et justifier un assassinat. J’espère aussi n’être point taxé de présomption si, jusqu’à ce que ces paroles aient été citées, comme j’ai cité celles de M. de Lasteyrie, je tiens pour nulle son accusation et lui en laisse toute la responsabilité.

« Je compte, monsieur le directeur, sur votre bienveillante impartialité pour l’insertion de cette lettre dans votre prochain numéro, et je vous prie