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disposition n’est plus périlleuse que lorsqu’elle s’attaque à la fortune publique. Toute atteinte grave aux sources du revenu est infiniment plus funeste pour les finances d’un pays que l’exagération de la dépense. À ce dernier mal on peut toujours remédier par l’économie ; le premier laisse des traces durables et parfois ineffaçables.

La perfection n’existe nulle part : cela est vrai surtout pour les impôts ; il n’en est guère contre lesquels on ne puisse élever des objections. Plusieurs en France ne sont certainement pas à l’abri de la critique. L’impôt foncier entre autres, fort élevé partout, est, dans certaines régions, véritablement excessif. Cependant nos impôts, tels qu’ils sont, ont toujours fait l’admiration et l’envie de l’Europe par l’égalité relative de la répartition et par la merveilleuse facilité de la perception. D’où vient qu’une sorte d’agitation fiévreuse les met tous en question ? Il y a là un vrai péril, et le gouvernement aurait intérêt à se défendre de projets que lui prête la malveillance de certains ennemis ou la maladresse de certains amis. Des novateurs aventureux, chimériques ou coupables, vont jusqu’à réveiller le souvenir des mauvais jours de 1848. Plus ou moins dissimulés ou atténués, l’impôt progressif et l’impôt sur le revenu, ces rêveries socialistes, anéantis par la libre discussion dans l’assemblée constituante, retrouvent des prôneurs. Ce n’est pas ici le lieu de combattre ni l’impôt progressif, cette audacieuse négation d’un des plus salutaires principes de 1789, le principe de l’égalité des charges par la proportionnalité, ni l’impôt sur le revenu, impôt arbitraire, inquisitorial, insupportable. Ceux qui, pour défendre ce dernier impôt, s’appuient sur l’exemple de l’Angleterre oublient à quel point l’income-tax y est détesté et ignorent quelles profondes différences entre les deux pays le rendraient chez nous impossible. Sur quoi voudrait-on l’asseoir en France ? Ce n’est probablement pas sur la propriété immobilière, déjà écrasée par le poids qui l’accable[1]. En Angleterre, le sol est peu divisé et l’impôt foncier est à peu près nul ; l’impôt sur le revenu, à 10 pence par livre sterling, représente un peu plus de 4 pour 100 : or c’est estimer bien bas l’ensemble des charges qui en France pèsent sur la propriété foncière que de les porter à 10 ou 12 pour 100 du revenu en moyenne. Il est des départemens où ces charges montent beaucoup plus haut, et je ne parlé que des taxes directes, en principal et en centimes

  1. L’extrême division du sol serait également un obstacle insurmontable. Sur 11 millions de cotes, on n’en compte que 16,000 au-dessus de 1,000 francs, 36,000 de 500 à 1,000 francs, 64,000 de 500 à 300 francs, etc. ; 5,400,000 cotes sont au-dessous de 5 fr., 3,000,000 sont de 5 à 20 francs. Il faudrait donc que l’impôt, pour être productif, frappât sur les plus modiques revenus.