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beaucoup plus de sucre lorsqu’il coûterait de 60 à 65 c. la livre au lieu de 70 à 75 centimes ?

Afin d’atténuer les craintes qu’inspirent l’avortement probable des espérances fondées sur la réduction du tarif des sucres et des cafés et le trouble jeté dans nos finances par cette mesure et par d’autres expériences malheureuses, on a présenté comme une perspective rassurante la perception future des droits de douane sur l’importation des produits fabriqués d’origine anglaise, produits exclus pour la plupart de notre marché, avant le traité de commerce, par la prohibition ou par des droits prohibitifs. On oublie trop que la perception de ces droits ne peut se concilier qu’avec une diminution considérable dans la production nationale, car ce serait trop d’optimisme que de compter sur un accroissement de consommation suffisant pour rétablir l’équilibre. Une perception de quelque valeur sur les marchandises d’origine britannique suppose une importation considérable et un ralentissement corrélatif dans la production nationale. Croit-on que la richesse publique et le trésor ne perdraient pas plus à ce ralentissement qu’ils ne gagneraient à la perception des droits ? Le ralentissement du travail, c’est la réduction des salaires, et, par une conséquence infaillible, la diminution du produit des taxes de consommation. Quant au bon marché tant promis, il a fait défaut partout, et cela était facile à prévoir. C’est presque toujours les intermédiaires qui profitent de la diminution des droits sur les objets de consommation dont la principale vente se fait au détail, et il est trop probable que la suppression des octrois, si jamais un gouvernement se laissait entraîner à une pareille folie, n’aurait pas d’autre résultat pour ceux mêmes qu’on aurait eu principalement l’intention de soulager, c’est-à-dire pour les petits consommateurs.

Instruits par l’expérience, devenons donc plus sages. Ne nous figurons pas que le progrès consiste dans l’instabilité, qu’on améliore tout en touchant à tout. On peut s’agiter beaucoup pour s’apercevoir un jour qu’on a reculé, au lieu d’avancer. Ceux qui, dans l’ordre moral et politique, mettent la sécurité au-dessus de tous les biens et croient qu’on ne peut faire, pour l’obtenir, trop de sacrifices devraient se souvenir que les intérêts positifs ont au moins un égal besoin de sécurité, que la fortune privée ne peut, sans que la fortune publique en souffre, être incessamment soumise à des inquiétudes, à des expériences et à des fluctuations, que rien ne se fonde et ne prospère quand il n’y a pour rien de lendemain assuré.