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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/728

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bénéfices de son ferme propos intrépide. S’il était vrai qu’il eût formé son talent, nous devrions surprendre ce talent d’abord à l’état de germe, puis à l’état embryonnaire, le suivre facilement dans toutes les phases successives de sa formation. Cependant il n’en est rien : ses premières œuvres sont égales aux dernières, et au dire de quelques-uns elles sont supérieures. Dès ses premières publications son originalité éclate avec toute sa vivacité. La volonté n’avait pas encore eu le temps de produire ses résultats lorsqu’ils écrivait le Précis d’histoire moderne, œuvre charmante et animée, qui ne répond pas au but pédagogique que l’auteur ses proposé, et qui n’est guère capable d’instruire des écoliers ignorans, mais où les faits que l’auteur a honorés de sa préférence sont présentés sous une si brillante lumière. Est-ce la volonté ou l’imagination qui lui fit écrire son récit de la seconde guerre punique, qui lui fit éclairer de traits rapides, pareils à des éclairs, cette grande et malheureuse figure d’Annibal, aventurier par fatalité de situation, seul patriote au sein d’une oligarchie sans patriotisme ? Est-ce la volonté ou l’imagination qui lui fit mettre la main sur les propos de table de Martin Luther, qui lui révéla pour la première fois un Luther fort différent du personnage de convention que tous les partis s’étaient plu à représenter, un Luther qui n’était ni le moine révolté par orgueil satanique des uns, ni le philosophe et le libre penseur des autres, mais un chrétien fervent et pieux, un soldat de l’Evangile dont les vertus caractéristiques étaient la candeur et la naïveté ? Est-ce la volonté ou l’imagination qui lui fit écrire ce fameux chapitre de géographie morale qui sert d’introduction au second volume de son Histoire de France, et cette description des terreurs de l’Europe à l’approche de l’an 1000, par laquelle s’ouvre son récit du moyen âge ? Cependant, lorsqu’il a écrit toutes ces œuvres, il était jeune ou encore bien près de la jeunesse. Si donc il doit son talent à la volonté, il faut avouer qu’elle a été moins dure pour lui que pour les autres hommes, et qu’elle ne l’a pas fait attendre bien longtemps[1].

  1. L’originalité de M. Michelet semble au contraire avoir existé en lui dès l’apparition de la pensée ; il a été dès le premier jour, je le crois, à peu près ce qu’il a été toute sa vie. Un fait à l’appui de notre assertion. Je sais bien qu’il ne faut pas attacher une très grande importante aux anecdotes concernant l’enfance des hommes célèbres ; cependant je suis de ceux qui pensent, comme le poète Wordsworth, que l’enfant est le père de l’homme, en ce sens qu’il laisse entrevoir en bien et en mal les linéamens principaux de l’homme futur. J’ai eu autrefois entre les mains un ou deux volumes contenant les devoir et les compositions hors ligne des meilleurs élèves des collèges de Paris. Quelques-uns de ces devoirs sont signés de noms qui sont devenus illustres, et presque tous laissent apercevoir les signes d’une originalité future. Il en est un cependant, qui révèle une originalité non en préparation, mais toute formée : c’est un discours français intitulé Dion Cassius aux soldats romains. M. Michelet se rappelle-t-il l’auteur de cette composition ?