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Depuis quelques années, M. Michelet applique à des sujets d’histoire naturelle cette brillante imagination qu’il avait jusqu’alors consacrée exclusivement à l’histoire. Quelques-uns l’en blâment vivement. Pour nous, nous l’en félicitons, et nous sommes heureux à plusieurs titres des succès qu’obtiennent ses poétiques fantaisies. Ce succès est en effet, si l’on y regarde bien, un profit net pour la cause des études sérieuses. Les détracteurs et les esprits chagrins me disent que la plupart des lecteurs qui ont fait le succès de ces petits livres appartiennent aux catégories des oisifs et des gens frivoles. Je réponds : Tant mieux ; pendant qu’ils lisent l’Oiseau, l’Insecte ou la Mer, ils ne lisent pas autre chose, et laissent dormir ces insipides et dépravantes productions de la littérature contemporaine par lesquelles ils remplissent leur cœur d’un poison lent et mortel. Chacun des livres de M. Michelet a tué en germe une demi-douzaine de succès dangereux, écrasé dans l’œuf toute une couvée de demi-succès salissans. Il y aurait à écrire un petit chapitre de statistique morale extrêmement curieux : ce serait de rechercher le chiffre probable des mauvaises lectures que prévient la publication d’un livre amusant et poétique comme ceux de M. Michelet. En supposant pour chaque lecteur une moyenne de deux volumes de romans frivoles et licencieux, on verra combien de mauvaises impressions et de vilaines pensées ont été ainsi détruites en germe. C’est un résultat moral, négatif si l’on veut, en ce sens qu’aussitôt le livre achevé, les gens frivoles et oisifs retournent comme devant à leurs lectures favorites ; mais c’est un résultat cependant, puisque, pour quelques jours au moins, ce livre a suspendu l’action du mal. N’est-ce rien que d’épargner à des milliers de lecteurs des myriades d’impressions équivoques ou malsaines, et de leur donner en échange quelques heures de rêveries poétiques que la nature peut avouer ? Le succès des fantaisies d’histoire naturelle de M. Michelet est donc un vrai service rendu à la morale.

C’est aussi un service rendu à la littérature. Ce succès peut enseigner aux jeunes gens qui cherchent un emploi de leurs facultés, — et qui, entraînés par l’exemple du plus grand nombre et la contagion de la mode, se portent tous du côté du roman, sans se demander si cette forme littéraire est ou n’est pas en rapport avec les aptitudes de leur esprit, — qu’il y a plus d’une voie pour l’imagination, qu’il n’est pas nécessaire de s’enfermer et de s’emprisonner volontairement dans un moule banal, et que celui qui sait chercher est à peu près sûr de trouver. Parmi tous ceux qui écrivent aujourd’hui des romans, parce que la mode est au roman, combien en est-il qui soient sûrs que cette forme littéraire convenait à leur talent ? Les formes littéraires devraient être aussi diverses que les formes de l’imagination, et de même que chacun travaille à se faire une manière