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trop loin. Les guêpes sont des insectes guerriers, il est vrai, mais non des vierges de Tauride ou des amazones. Elles rappellent plutôt certaines tribus indiennes, les féroces Comanches par exemple, ou, mieux encore, les habitans de l’archipel malais. C’est la même férocité, le même élan sauvage, le même faux courage, la même fausse grandeur, et dans le gouvernement la même anarchie sous des apparences d’ordre.

En vérité, loin de blâmer M. Michelet de n’être pas assez savant, nous aurions envie de l’en féliciter, car il doit à sa science de fraîche date une grande partie de la poésie dont ses livres sont remplis. Si sa science était, plus complète, peut-être son imagination serait-elle plus calme, et nous y perdrions ces couleurs si vives par lesquelles il exprime son ravissement, et ces émotions vibrantes, qu’éveillent en son cœur tant de spectacles nouveaux pour lui. Ses livres d’histoire naturelle sont pleins d’une certaine poésie qu’on pourrait appeler la poésie de l’étonnement. Il fait des découvertes, et s’émerveille comme un enfant de ce qu’il découvre, et il fait effort sur lui-même pour rencontrer l’image la plus expressive et la plus puissante. Ses paroles sont d’autant plus vives que les objets qui les font naître sont plus nouveaux pour lui, et son imagination est d’autant plus ébranlée que sa surprise a été plus grande. S’il était plus familier avec la science, il est à croire que son imagination serait moins ardente et plus émoussée, que ses couleurs seraient moins éclatantes, que son cœur serait moins facile à l’émotion. Les beaux chanteurs ailés ne lui apparaîtraient plus comme des personnes, mais comme des produits de la nature, qui rentreraient dans des classifications pédantesques de genres et d’espèces ; il assisterait d’un œil plus sec à la mort des insectes, et s’inquiéterait moins de leur âme atomique. Plus savant, il serait moins poète, et nous y perdrions tous, sans que la science y gagnât grand’chose.

En règle générale, il n’y a que deux manières de peindre un objet et d’en exprimer la poésie : c’est de l’embrasser et de le pénétrer d’un premier regard, d’un regard prompt et rapide comme le filet que le pêcheur lance d’une main exercée et sûre, ou de le connaître aussi familièrement, aussi intimement qu’on se connaît soi-même. Au moment où je recevais le dernier ouvrage de M. Michelet, je venais-justement d’achever la lecture d’un livre que j’avais envie de lire depuis longtemps : l’Histoire naturelle de Selborne, de Gilbert White, livre recommandé à notre attention par deux de ces lignes éloquentes de Thomas Carlyle qu’on n’oublie plus lorsqu’on les a lues une fois. Le bon Gilbert White, qui vivait au dernier siècle, n’avait pas reçu les dons poétiques de M. Michelet, ni son caractère mobile et ardent ; il vécut paisiblement toute sa vie, et sans en vouloir sortir, dans cette paroisse de Selborne dont il a écrit l’histoire