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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/737

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naturelle. Aussi connaît-il tous les mystères et tous les secrets de ce petit coin de terre. Il a recueilli toutes les anecdotes et toutes les légendes qui se rapportent au petit monde au milieu duquel il habita. À telle place, on voyait, il y a tant d’années, un chêne gigantesque où nichait une famille de corbeaux dont la femelle se montra vraiment héroïque lorsqu’on abattit l’arbre qui lui servait de maison, car elle aima mieux être écrasée dans sa chute que d’abandonner ses petits. Il connaît un ruisseau où le bétail de la paroisse avait pris l’habitude d’aller se baigner à certaine heure du jour, car les bestiaux de telle paroisse n’ont pas précisément les mêmes mœurs que les bestiaux de telle autre. On lui apporte un jour un nid d’une espèce particulière de rat des champs, lequel nid a une forme sphérique, et dont on ne peut trouver l’ouverture. Il remarque que les hirondelles ne sont pas aussi régulières qu’on pourrait le croire dans leur départ et leur retour, et même qu’elles ne partent pas toutes ; il en a connu qui avaient passé l’hiver dans sa paroisse. Il note tous les exemples de dérogation aux lois reconnues de l’instinct et de la nature, tous les petits traits de caractère qui déconcertent les opinions reçues. De cette connaissance intime, familière, découle une sorte de poésie, et cependant le bon White n’a presque jamais une image. La sympathie gagne lentement, insensiblement, en compagnie de ce brave homme par cette accumulation de faits et d’anecdotes touchant les diverses générations d’oiseaux et d’insectes qui ont vécu à Selborne de son temps, ou dont les plus âgés de ses contemporains avaient conservé le souvenir, et l’on pourrait presque dire la tradition. Aussi le livre du bon curé White forme-t-il le contraste le plus parfait avec les livres de M. Michelet. White doit toute sa poésie à la connaissance minutieuse du sujet dont il parle ; si cette science était d’un degré moins intime, son livre serait insupportable, car il n’aurait plus cette douceur de familiarité qui en est la fleur et le charme. C’est au contraire parce que M. Michelet ne fait que traverser le pays de la science que ses livres sont si poétiques ; c’est parce qu’il passe en voyageur à travers les merveilles de la nature qu’il condense en images brillantes les émotions que. lui inspirent des spectacles auprès desquels il n’a pas le temps de s’attarder. S’il s’attardait, ces images se dissoudraient sous une observation plus patiente, comme les nuages colorés qui nous charmaient tout à l’heure, et que nous avons le déplaisir de voir se dissoudre si nous nous arrêtons trop longtemps à les contempler.

Des trois livres que M. Michelet a écrits jusqu’à présent sur l’histoire naturelle, l’Oiseau est celui que nous préférons, car c’est celui qui répond le mieux aux conditions de l’art. La science en effet satisfait malaisément aux exigences littéraires. Les lois de la nature peuvent bien prêter à des développemens d’éloquence et quelquefois à