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fet, chanté par l’admirable voix de M. Graziani. Différens personnages viennent chez le gouverneur, et sont annoncés par le page Edgar. On apprend au gouverneur qu’on poursuit une pauvre bohémienne nommée Ulrica. Il s’indigne contre cette intolérance de la justice et demande au page ce qu’il pense de la devineresse. Le page, dans une ballade fort gracieuse, décrit l’aspect sinistre de la bohémienne lorsqu’elle accomplit l’acte de prédire l’avenir. Mlle Battu chante cette ballade avec une vivacité piquante. Le morceau d’ensemble qui termine l’introduction et le premier acte, dans la distribution du Théâtre-Italien, est vulgaire, et laisse au public une impression fâcheuse. À l’acte suivant, la scène est transportée dans une contrée sauvage où la devineresse tient ses assises et évoque les esprits. Trois personnages s’y trouvent réunis, Ulrica, Adelia et Ricardo, ce qui donne lieu à un trio, pour soprano, ténor et contralto, d’un bel effet. Sous la partie de soprano, qui développe en notes simples une phrase ascendante pleine d’émotion, les deux autres parties remplissent l’harmonie, tout en conservant chacune un dessin particulier et significatif. C’est très beau comme conception musicale et très dramatique, et c’est là, quoi qu’on en dise, le vrai problème de l’art. Ricardo, qui désire connaître l’avenir qui l’attend, demande à la devineresse de lui dire franchement ce qu’il doit espérer, en chantant une cantilène gracieuse :

Di’tu se fedele
Il fiutto m’aspetta,


et la réponse du chœur à l’unisson encadre heureusement la petite mélodie. Mais un morceau tout à fait remarquable, c’est le quintette qui vient après pour ténor, deux basses, soprano et contralto. Ulrica, la devineresse, a prédit au comte qu’il mourrait assassiné par un ami. Ce pronostic, qui frappe tous les assistans, n’excite chez Ricardo qu’une folle gaieté et un profond dédain de la crédulité populaire. C’est Ricardo qui prépare le thème du quintette par une phrase pleine de désinvolture :

E scherzo od è follia
Si fatta profezia.


Les deux basses, qui sont deux personnages subalternes, préparent le tissu harmonique, au-dessus duquel plane bientôt le soprano du page Edgar, par quelques notes simples et ascendantes qui forment le fil conducteur de l’ensemble. Le chœur se joint aux cinq voix et ajoute une plus grande sonorité à ce morceau de maître. Ce quintette remarquable est plus beau, aussi dramatique et plus développé que le charmant quatuor de Rigoletto. L’acte se termine par un ensemble ou stretta, comme disent les Italiens, très vigoureux. L’acte suivant, qui est le troisième, transporte la scène dans une autre contrée déserte où s’égare, pendant une profonde nuit, la pauvre Adelia. Elle exprime dans un air fort dramatique, qui rappelle certains passages de la Traviata, les sombres pressentimens de son cœur. Mme Penco chante ce morceau avec une émotion sincère qu’elle communique à l’auditoire. Ricardo survient aussi dans ce lieu désolé, et il résulte de cette rencontre des deux amans un duo passionné dont je remarque particulièrement l’andante. La scène se complique par l’arrivée de Renato, le mari d’Adelia et l’ami dé-