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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/805

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sa témérité juvénile, peu s’en fallait, en vérité, qu’elle ne l’accusât de passions révolutionnaires. « Notre dissentiment, répliquait Sismondi avec son énergique bon sens, tient à ce que vous vous attachez aux personnes, tandis que je m’attache aux principes. Nous sommes fidèles chacun à l’objet primitif de notre attachement ou de notre haine, moi aux choses, vous aux gens. Moi, je continue à professer le même culte pour les idées libérales, la même horreur pour les idées serviles, le même amour pour la liberté civile et religieuse, le même mépris et la même haine pour l’intolérance et la doctrine de l’obéissance passive. Vous, madame, vous conservez les mêmes sentimens pour les hommes, dans quelque situation qu’ils soient. Ceux que vous avez plaints et révérés dans le malheur, vous les aimez aussi dans la prospérité ; ceux que vous avez exécrés quand ils exerçaient la tyrannie, vous les exécrez encore quand ils sont tombés… En comparant ces deux manières de fidélité, l’une aux principes, l’autre aux personnes, je remarquerai, quoi que vous en puissiez dire, que la vôtre est beaucoup plus passionnée, beaucoup plus jeune que la mienne… » Ces paroles sont datées du 5 mars 1815 ; Sismondi se trouvait alors à Paris, et l’opinion qu’il exprime ici était celle de presque tous les esprits libéraux. Les folies de la réaction préparaient un retour triomphal au prisonnier de l’île d’Elbe. Quinze jours après, les Bourbons prenaient la fuite, Napoléon entrait aux Tuileries, et Sismondi, confiant, comme la France elle-même, dans les promesses de l’acte additionnel, défendait de sa plume dans le Moniteur l’alliance du génie d’un grand homme avec les libertés publiques. Napoléon l’en remercia personnellement et lui offrit la croix de la Légion d’honneur ; Sismondi refusa la récompense et n’accepta les remercîmens qu’à moitié : il se résignait, non sans tristesse, aux compromis que la destinée imposait à la France ; il combattait pour le salut des principes, et non pour le triomphe d’un homme.

Si Mme d’Albany, tout en rendant justice à la droiture de Sismondi, est désolée de sa conduite, qu’en pense Mme de Staël ? Elle la blâme et l’approuve en même temps. Ses paroles sont curieuses. Le 8 décembre 1815, elle écrivait de Pise à la comtesse : « Je suis de votre avis sur Sismondi ; c’est un homme de la meilleure foi du monde. Nous avons eu des querelles terribles par lettres sur Bonaparte : il a vu la liberté là où elle était impossible ; mais il faut convenir aussi que pour la France tout valait mieux que l’état où elle est réduite actuellement. » Il faut citer encore une autre lettre de la fin de 1815. Mme de Staël, arrivée à Pise dans les derniers jours de novembre pour y marier sa fille avec M. le duc de Broglie, entretint une correspondance fort active à cette date avec la comtesse d’Albany ;