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au monde extérieur que lui révèlent ses sens, et dans lequel il reconnaît des groupes et des habitudes, une classification et des lois. Le philosophe va plus loin. Il éprouve le besoin de ramener à l’unité ces deux choses que le vulgaire laisserait volontiers à jamais dans leur opposition, l’homme et le monde, l’être qui pense et les êtres qui sont pensés. Entre ces termes opposés, il cherche quelque ressemblance qui permette de les réunir sous une même idée générale ; car telle est la loi de l’esprit humain : il veut comprendre, et pour lui, comprendre, c’est trouver la ressemblance dans.la différence, ce qui est général dans ce qui est particulier. Tous les systèmes sont donc des tentatives pour ramener le monde à l’homme ou l’homme au monde. Cette conciliation est la tâche philosophique par excellence.

On comprend déjà qu’il y a deux sortes de philosophie : l’une qui part de ce qui est extérieur à l’homme, ou, comme on dit dans l’école, de l’objet, l’autre qui part de l’homme lui-même ou du sujet ; l’une qui, commençant par un acte de foi, admet tout d’abord le témoignage des sens, l’autre qui, s’occupant de déterminer les conditions de la connaissance, commence par révoquer en doute la croyance vulgaire et prend d’emblée l’attitude de la critique ; la première qui arrive facilement à ne voir dans l’esprit humain que l’action des causes extérieures, et qu’on a nommée à bon droit philosophie de la sensation, la seconde qui arrive non moins vite à placer toute réalité dans l’esprit de l’homme, dans l’idée, et qui mérite ainsi le nom de philosophie idéaliste. Ajoutons que celle-ci, s’attachant à ce qui, dans la connaissance, est antérieur à l’expérience, sera la science de l’a priori) tandis que l’autre philosophie sera essentiellement empirique.

La philosophie de la sensation n’est autre chose que l’opinion vulgaire élevée par la réflexion à l’état de système. C’est la philosophie la plus ancienne, la plus répandue, le point de départ naturel de toutes les autres. La pensée moderne, pour ne pas remonter plus haut, a débuté par Bacon et par Locke, c’est-à-dire par l’empirisme.

Cependant la tendance critique ou subjective, de son côté, est toujours prête à se réveiller. Elle se réveille dans la réformation du XVIe siècle, qui, en invoquant le droit du libre examen, proclame implicitement que la vérité pour chacun, c’est ce qui lui paraît vrai. Elle se réveille avec Descartes, lorsqu’il place dans un fait de conscience la source dernière de la certitude. Elle se retrouve jusque dans Pascal, lorsqu’il fait du consentement de soi-même à soi-même « la règle de la créance. » Il est vrai que Pascal, Descartes et Luther se doutaient peu des conséquences auxquelles devait aboutir le principe de l’individualité du vrai. Ces conséquences ne tardèrent pas à