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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/829

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se faire jour : on vit l’aimable et spirituel Berkeley refuser à l’homme le droit de conclure de ses perceptions à l’existence des objets perçus ; on vit Hume attaquer les fondemens de l’idée de cause ; on vit Kant consacrer par une analyse rigoureuse ces résultats du scepticisme. Fichte fit un pas de plus, le dernier : selon lui, c’est l’homme qui crée le monde. L’école de Locke avait montré l’intelligence humaine façonnée et en quelque sorte produite par la sensation, c’est-à-dire par les choses du dehors ; Fichte renverse les termes et nous montre au contraire dans les choses un produit de l’intelligence et de son activité. Nous voici donc arrivés à un point après lequel il n’y a plus rien. La tendance subjective aboutit à la suppression de tout ce qui n’est pas le sujet ; on ne saurait aller au-delà. Cependant la philosophie de Fichte n’était pas seulement significative en ce qu’elle marquait ainsi le terme où un principe s’épuise en s’exagérant, elle marquait aussi à plusieurs égards la transition à une tendance nouvelle. En premier lieu, elle abandonnait les allures méthodiques du scepticisme de Kant pour y substituer des assertions. En outre elle répudiait tout appel à l’expérience, et arrivait à ses résultats par un procédé purement dialectique. Ajoutons enfin que le moi dont elle parlait notait pas le moi individuel, mais un moi général, abstrait, et nous aurons trouvé dans Fichte tous les élémens des systèmes qui vont remplacer le sien.

L’unité obtenue soit par l’idéalisme, soit par l’empirisme, avait été obtenue en sacrifiant l’un ou l’autre des deux termes du problème. L’homme ici, là le monde, étaient également en souffrance, réduits à je ne sais quel minimum de réalité, à un reste que l’on s’imaginait pouvoir négliger sans nuire à la justesse de l’opération. Une pareille solution ne pouvait manquer d’être reprise en sous-œuvre. Elle le fut par des esprits qui se proposèrent d’arriver à l’unité au moyen d’une conciliation sincère de tous les élémens de la réalité. Inutile d’ajouter que dans cette voie encore la pensée n’avança que pas à pas et en tâtonnant.

Spinoza fut le premier et pendant longtemps le seul qui s’y aventura. Cherchant l’unité de l’esprit et de la chose, il s’éleva à l’idée générale de substance, fit de la substance la réalité souveraine, et considéra la pensée, aussi bien que l’étendue, comme un attribut de la substance. En d’autres termes, la réalité a deux manières d’être, et la pensée est une de ces manières. Quant au caractère personnel de la pensée, quant à l’individualité, à la conscience, au moi, ce sont les formes finies de l’infini, une limite au-dessus de laquelle il faut savoir s’élever pour contempler l’ensemble dans sa totalité, l’univers dans son essence. Cette doctrine renfermait une philosophie nouvelle ; elle inaugurait dans la métaphysique une révolution analogue à celle que Copernic avait introduite dans la